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DOSSIER: L’Esclavage des Noirs en Terre D'ISLAM - Autopsie d´un Génocide sans précédent?* 2/7

DOSSIER: L’Esclavage des Noirs en Terre D'ISLAM - Autopsie d´un Génocide sans précédent?* 2/7


2. Le racisme antinoir ordinaire

par Kahm Piankhy

« La cause de l'égalité raciale est soutenue presque unanimement par les préceptes de la religion islamique - à la fois par les exhortations à la piété et les injonctions de la loi. Et néanmoins, simultanément, la littérature, les arts et le folklore des peuples musulmans reflètent avec éclat l'inégalité et l'injustice. En cela comme en tant d'autres choses, il y a un contraste flagrant entre ce que l'islam dit et ce que les musulmans - ou au moins certains d'entre eux - font »
-- Bernard Lewis

Existait-il un préjugé de race de la part des Arabes puis des musulmans à peau claire vis-à-vis des Africains et des gens à carnation noire ? La réponse est clairement oui. Ces préjugés étaient présents aussi bien au sein des gens instruits qu'au sein des gardiens des traditions de l'islam ou des populations. Seulement, il y a une confusion qui s'opère : les détracteurs, niant l'existence de préjugés raciaux vis-à-vis des Noirs, citent sans cesse le Coran, comme si c'était le Coran qui devait être questionné sur ces réalités. Et effectivement, dans le Coran, aucune allusion à un quelconque mépris n'est faite vis-à-vis des Noirs puisque la grille de lecture que l'on y retrouve fonde une distinction entre, d'une part, les musulmans et, d'autre part, les non-musulmans. Pourtant, aussi bien les Africains, que les métis afro-arabes ainsi que les Arabes à peau noire ou très basanée vont voir naître à leur encontre une constellation de stéréotypes dégradants liés à leur couleur de peau.

Dans les premières décennies de leur expansion, les Arabes ne respectaient généralement guère les nouveaux convertis des terres qu'ils avaient conquises. Ils se voyaient comme les aristocrates de l'islam et méprisaient profondément les autochtones autant que les enfants « métis » qu'ils eurent avec eux. Indépendamment de la couleur de leur peau, tous les enfants nés d'un père arabe et d'une mère non-arabe étaient appelés des hajin (bâtards). Ce terme est un vocable animalier qui désignait des métis d'arabes. Mais bien avant cela, il était utilisé pour désigner « par exemple un cheval dont le père était un pur sang arabe et pas la mère »[i]. Selon l'auteur Abduh Badawi, « on s'accordait à penser que les plus importunés des hajin et les plus bas dans l'échelle sociale étaient ceux à qui leur mère avait transmis une peau noire »[ii]


[ Marché aux esclaves à Zayid (Yemen) ]

Là aussi, la théorie façonne l'histoire, mais en contravention totale avec la vérité historique. Il existait une stricte hiérarchie dans les pays conquis par les Arabes : les Arabes sont en haut, puis vient les métis d'Arabes, puis les musulmans non-arabes. Les musulmans non-Arabes, « considérés comme inférieurs, étaient privés de toute une série de droits dans le domaine fiscal, social, politique, militaire et autres. On les appelait, collectivement, les mawali (...) »[iii]. Les mawali[iv] étaient d'anciens esclaves affranchis et étaient soumis à l'impôt personnel comme de vulgaires dhimmi. C'est pour toutes ces raisons qu'un mouvement de protestation contre l'arrogance et la suprématie des Arabes est né : il s'appelait la shu`ûbiya. Ce mouvement était revendiqué aussi bien par des Perses, des Berbères que par des convertis wisigoths et francs d'Andalousie, déçus de voir que les Arabes continuaient à prendre l'islam pour une entreprise familiale et reléguaient les autres musulmans à des places subalternes.

L'auteur hispano-arabe Ibn Abd Rabbihi (né en 860) raconte que les mawali sont traités comme des musulmans de seconde zone au point où, même lors des funérailles d'un défunt, il leur est formellement interdit de prier avec les Arabes. Lorsque que l'un des mawali était présent à un repas « il était debout quand les autres étaient assis »[v] et lorsque l'on faisait preuve d'une extrême magnanimité à son égard « on l'asseyait à l'autre bout de la table afin que nul n'ignorât qu'il n'était pas arabe »[vi]. Ce n'est que plus tard que les choses s'arrangeront pour les musulmans à peau blanche. Car pour le cas des populations à peau noire, c'est une autre histoire. Les choses commençaient déjà fort mal quand, au 8ème siècle, les descendants d'Abu Bakr, compagnon du prophète et ancien esclave noir affranchi au cours de l'année 630, subirent une humiliation due au calife al-Mahdi. Ce dernier, troisième calife abbasside et fils d'al-Mansur, refusa doctement de reconnaître la généalogie des decendant d'Abu Bakr comme étant une généalogie arabe. Il les somma de reprendre la généalogie issue de la lignée « d'affranchis du Prophète », donc de remonter à leur ancêtre éthiopien afin d'éviter toutes confusions entre les Arabes purs et les métèques négroïdes qui ont un ancêtre esclave et africain. Abu Bakr (mort en 672) s'était établi à Bassorah mais ne devait pas avoir idée que sa couleur de peau allait poser problème à peine 100 ans après sa mort.

Après les conquêtes musulmanes des premiers siècles vers des terres inconnues, les Arabes rencontrèrent des peuples qu'ils connaissaient mal ou pas du tout. Dans les temps préislamiques, les Éthiopiens du royaume d'Axoum faisaient battre monnaie sur des pièces en or dès le 3ème siècle. Naturellement, il y eut des contacts entre les chrétiens d'Éthiopie et les diverses tribus de la péninsule arabique. En 524, le royaume éthiopien envahi l'Arabie : il reprochait au royaume himyarite - des Arabes yéménites convertis au judaïsme - d'oppresser les chrétiens sur son sol. Lorsqu'en 614-615 les partisans de Mohamed sont persécutés par les Mecquois, c'est le négus éthiopien qui les accueille et les protège. Certains des réfugiés arabes se convertiront même au christianisme. Pour confirmer l'influence de l'Éthiopie, ajoutons que le Coran est rempli de mots dont l'origine se trouve dans cette partie de la corne de l'Afrique. Même l'arabe classique contient des mots éthiopiens, ce qui atteste l'influence du royaume chrétien des Habach (Abyssins). Rien à voir avec ce qui se passera plus tard, quand les Arabes domineront une partie du Moyen-Orient et le nord de l'Afrique.

Djahiz de Bassora, un poète arabe ayant des origines africaines, demanda pourquoi, au temps préislamique, les Habach[vii] étaient bien vus des Arabes à peau blanche puis, dès que l'islam leur apporta une civilisation puissante, le racisme vis-à-vis des Noirs se développa parallèlement à son expansion. Les Éthiopiens n'étaient désormais réduits à n'être que des animaux, comme le sous-entend ce texte du 10ème siècle qui loue la couleur des Arabes des environs de L'Euphrate. Le peuple d'Irak possède :

« Une couleur brun pâle, qui est la plus heureuse et la plus appropriée. Ce sont ceux qui sont amenés juste à point dans le sein de leur mère. Ils ne sont pas, comme les bébés tombés du ventre des Slaves ou d'autres femmes de complexion analogue, d'une couleur située quelque part entre blond, chamois, blême et lépreux ; ils n'y sont pas non plus trop cuits dans la matrice jusqu'à en être brûlés en sorte que l'enfant sorte noir et fuligineux, nauséabond et puant, les cheveux crépus, les membres inégaux, le cerveau déficient et succombant aux passions dépravées comme les Zanj, les Éthiopiens et d'autres Noirs qui leur ressemblent »[viii]

De la violence du texte ! Nous ne sommes même pas face à un écrit attaquant des ennemis qui auraient dominé l'auteur, c'est une haine ordinaire et gratuite. Il ne fait aucun doute que les Africains, les métis d'Africains puis leurs descendants souffraient « des injures et des discriminations »[ix] au point que certains d'entre eux ont accepté « l'infériorité de statut social qui résulte de leur ascendance africaine »[x]

Les géographes, historiens et autres voyageurs arabes reprennent tous, sauf à de rares exceptions, les stéréotypes racistes écrits sur les Sudan. Le terme Sudan (signifiant noir[xi]) désigne les habitants de l'Afrique sub-saharienne. S'ils ont un avis globalement négatif et méprisant envers les Noirs, ils font tout de même une hiérarchie dans laquelle ils placent l'Éthiopien, ou plus précisément, l'Abyssin tout en haut. Tout en bas figurent les fameux Zanj et d'autres peuples comme les Bujja. Les Arabes nomment Zanj (zendj) précisément les peuples côtiers de l'est du continent africain - Kenya, Tanzanie, Mozambique et jusque l'Afrique du sud[xii] - qui ont participé à la terrible révolte d'esclaves qui a éclaté en Irak au 9ème siècle, sous le glorieux califat abbasside. Mais ils utilisent aussi ce terme pour désigner les Africains noirs plus généralement. En 869, des milliers de Zanj se révoltèrent contre l'autoritarisme des esclavagistes qui les faisaient travailler dans les marécages puants de la basse Mésopotamie dans des conditions inhumaines. Leur travail consistait à construire des digues, à creuser des canaux et à extraire des couches de natron du sol pour le rendre les terres du Chatt-al Arab cultivables.

En fait, ce n'était pas la première révolte d'esclaves africains que l'Irak connaissait puisqu'il y en eut une en 689 au cours de laquelle les insurgés furent écrasés, décapités et, les meneurs, pendus au gibet. La seconde révolte des esclaves africains d'Irak explosera quelques années plus tard, en 694, et sera elle aussi réprimée très rapidement. Ces deux insurrections démontrent que l'oppression des esclaves africains a commencé très tôt dans le monde arabe. Mais LA révolte que le monde entier a retenu des Zanj est celle qui dura plus d'une décennie et qui fut la plus importante révolte d'esclaves que le monde arabo-musulman ait connu dans toute son histoire. Entre de 869 à 883, les insurgés réussiront à s'armer et, se retranchant dans des camps fortifiés, tinrent tête aux diverses armées du calife. C'est ainsi que le calife envoya le général Abu Mansir réprimer sévèrement cette sédition qu'il croyait passagère. Abu Mansir et son armée se firent pulvériser par les Zanj avant que les soldats ne soient exécutés un à un. Plusieurs autres expéditions de soldats-esclaves à la solde du calife seront ainsi massacrées sans états d'âme par les révoltés. Au fil des années, les esclaves réussirent à impliquer des esclaves de toutes les origines, tout comme des paysans arabes écrasés par l'autorité. Ce n'est qu'au bout de ces quinze longues années que l'armée du calife réussira à mater définitivement les Zanj au prix d'un massacre qui fera entre un demi-million et 2 millions de morts. De nos jours, nous trouvons encore des descendants d'esclaves qui constituent la communauté afro-iranienne emmenés dans le sud de l'Irak qui, à l'époque, se confondait avec l'Iran actuelle. Contrairement à la majorité des Iraniens qui parle le persan et sont chiites, ces Afro-Iraniens sont arabophones et sunnites. Leur musique est clairement africaine, tout comme leur cosmogonie.

L'encyclopédiste Masudi (897-957) présente les Zanj comme étant des adorateurs de totem et des adeptes des cultes ancestraux. Pour le géographe al-Maqdisi, au 10ème siècle, les Zanj « sont des Noirs au nez épaté, aux cheveux crépus, de peu d'entendement et d'intelligence ». Au 12ème siècle, le Perse Nasir al-Din Tusi considérait les Zanj presque comme des animaux et cherchait ce qui les différenciait physiquement de ceux-ci. Il trouva finalement une explication perspicace et jura que la différence entre les Zanj et les animaux se situait dans le seul fait que les premiers avaient les deux mains « levées au dessus du sol ». À ses yeux, même « un singe apprend plus facilement qu'un Zanj » et « est plus intelligent ».

Lorsque les Turcs formaient un fort contingent de la population servile des Arabes, on trouvait des textes comme ceux du théologien persan Hamid al-Din al-Kirmani (996-1021) qui les dépeignaient comme des êtres arriérés aux côtés des Zanj et des Berbères. Mais au bout d'un certain temps, leur blancheur les sortait de l'animalité. Dans son guide du marchand d'esclaves, Ibn Butlan explique parfaitement que si les « femmes berbères faisaient de très bonnes esclaves grâce à leur caractère », en revanche les Arméniennes n'ont pas bonne presse et sont « les pires de toutes les blanches, comme les nègres chez les Noirs ». En revanche, il trouve que la Nubienne est la plus « gaie de toutes les Noires ».

Beaucoup d'auteurs musulmans utiliseront la « théorie des climats » pour justifier des aptitudes ou des inaptitudes des peuples qu'ils croient connaître. Sur ce point, ils sont quasiment tous d'accord pour ranger les Slaves authentiques et les Africains tout en bas de l'échelle humaine. Grosso-modo, les Slaves sont les nègres d'Europe. Tantôt les Arméniens et les Bulgares les y rejoignent. Lorsque Said al-Andalusi (1029 - 1070), cadi à Tolède, parle de l'influence du climat sur les aptitudes des peuples du monde, il évoque les Slaves - d'un point de vue ethnique :

« La distance excessive du soleil à la ligne du zénith rend l'air froid et l'atmosphère épaisse. De là viennent à ceux qui habitent le plus au nord un tempérament frigide, des humeurs âcres, un ventre bouffi, une coloration pâle et de longs cheveux plats. Il leur manque l'acuité de la compréhension, la clarté de l'intelligence, et c'est pourquoi ils baignent dans l'ignorance et l'apathie, l'absence de discernement et la stupidité. Tels sont les Slaves, les Bulgares et leur voisins »[xiii]

Au sujet des Africains qui, à ses yeux, sont encore plus arriérés que les Slaves et les Bulgares, le cadi Said n'y va pas non plus de mains mortes. Au sud, explique-t-il, la présence du soleil tout au long de la journée et de l'année rend l'air plus chaud. C'est « pourquoi les peuples qui vivent là ont le tempérament chaud et les humeurs ardentes, une couleur noire et les cheveux laineux. Il leur manque la maîtrise de soi et l'égalité d'humeur, et ils sont dominés par l'inconsistance, la bêtise et l'ignorance. Tels sont les Noirs qui vivent aux limites de l'Éthiopie : les Nubiens, les Zanj et leur pareils [...] ». Quand il évoque les païens, les insultes fusent. Said al-Andalusi n'a que mépris envers ces peuples n'ayant pas de religion valable à ses yeux. Les termes employés à l'encontre de ces peuples africains sont : « les canailles de Bujja, les sauvages de Ghana, la racaille de Zanj et leurs semblables ».

Adepte de cette théorie des climats qui prétend pouvoir déterminer les aptitudes des peuples en fonction de l'endroit où ils vivent, l'auteur al-Dimeshkri (14ème siècle) se répand lui aussi en niaiseries au sujet des Sudan qui sont « tous noirs » à cause du soleil qui les brûle au point où leurs cheveux frisent et deviennent crépus. Mais surtout, leur « cerveau souffre d'être humide » et cela explique que leur intelligence soit faible, « leurs pensées instables et leur esprit obtus ». Les Noirs sont incapables de « faire la différence entre fidélité et trahison ou entre bonne foi et duperie ». Al-Dimeshkri, souligne qu'« aucune loi divine ne leur a été révélée », qu'« aucun prophète ne s'est montré à eux » et que « leur mentalité est proche de celle des animaux ». Pour quelle raison précisément ? Tout simplement parce que « la soumission des peuples du Soudan à leurs chefs et à leurs rois est due uniquement aux lois et aux règlements qui leur ont été imposés de la même façon qu'à des animaux »

Ibn Khaldun (1332-1406) était un historien maghrébin né à Tunis influencé par le Malékisme de Kairouan. On ne rappelle pourtant quasiment jamais son racisme virulent vis-à-vis des Noirs et sa propension à les comparer à des animaux, comme il le fait ici dans ses Prolégomènes :

« Au delà du pays des Lemlem, dans la direction du sud, on rencontre une population peu considérable ; les hommes qui la composent ressemblent plutôt à des animaux sauvages qu'à des êtres raisonnables. Ils habitent les marécages boisés et les cavernes ; leur nourriture consiste en herbes et en graines qui n'ont subi aucune préparation ; quelquefois même ils se dévorent les uns les autres : aussi ne méritent-ils pas d'être comptés parmi les hommes »


[ Ibn Khaldun ]

Tous les fantasmes se retrouvent dans cette citation : des êtres humains pas vraiment humains, qui se rapprochent plus des animaux et qui, summum de la bestialité, se mangent entre eux. Bien entendu, Ibn Khaldun n'a rien vu de tout ça. Il fantasme en faisant marcher son esprit raciste qui lui fait tourner le film qui correspond le plus à ses préjugés contre les Noirs. Au sujet de l'esclavage, il en remet une couche sur les Africains : « Les seuls hommes qui acceptent l'esclavage sont les nègres et ce du fait de leur faible degré d'humanité et de leur proximité de l'état animal. Les autres le font comme un moyen d'accéder à un rang élevé, à plus de pouvoir, à plus de biens, ce qui est le cas des Turcs mameluks à l'Est et de ces Francs et Galiciens qui entrent au service de l'État ». Ibn Khaldun essaye pitoyablement de chercher à justifier le traitement raciste que les Arabes réservent aux Noirs soumis à l'esclavage. Il évoque l'acceptation de cette condition par les Noirs alors que les autres l'utiliseraient comme « tremplin social ». Pour commencer, personne n'accepte l'esclavage de fait. C'est une violence froide, un viol de la dignité. Mais visiblement, pour notre échotier de service, l'esclavage serait un moyen de progresser admis comme tel par les Blancs. En réalité, la ségrégation raciale est structurelle et n'est due qu'Aux arabes eux-mêmes : c'est le monde arabe dans son entier qui fait une discrimination contre les esclaves noirs et favorisent les Blancs.

Le voyageur andalou Ibn Jobayr disait de la population des Bujja qui habitait ente le Nil et la Mer rouge qu'elle était « plus égarée que des bêtes et moins sensée qu'elles »[xiv]. Il leur reprochait d'avoir embrassé l'islam sans pour autant être de bons musulmans. Argument remarquable de mauvaise foi lorsque l'on sait ce qui se passe en Égypte ou en Arabie avec les traites de concubines et d'esclaves eunuques. Mais tout cela ne l'intéresse guère. Le plus important est de convier le monde arabe à statuer sur leur animalité : « Ces gens n'ont, au vrai, d'autre religion que de proclamer l'unicité de Dieu pour prouver leur foi en l'islam mais, au-delà, rien dans leurs fausses conduites et dans leurs doctrines n'est satisfaisant ni licite. Les hommes et les femmes circulent presque nus, avec un chiffon pour dissimuler leur sexe, encore que la plupart ne cachent rien ! Bref, ce sont des gens sans moralité et ce n'est donc pas un péché que de leur souhaiter la malédiction divine. Et de les pourchasser jusque dans leurs villages, pour en ramener des esclaves. ». Et pourtant, des colonies entières de réfugiés perses et arabes s'installeront chez les Bujja et se marieront avec leurs filles. Tous leurs descendants porteront des noms arabes, seront musulmans et participeront au commerce des nègres.

Dans le monde arabe, la poésie est un art très apprécié et très répandu. Il n'est par conséquent pas étonnant que, parmi la pléthorique caste des poètes, se trouvent des Africains et des métis d'Africains. Le poète Suhaym était un esclave qui vécut au 7ème siècle et qui était très réputé pour son talent. D'origine africaine, Suhaym tirait son surnom de son physique puisqu'il signifie petit homme noir. Dans ses poèmes, il évoqua à plusieurs reprises sa couleur, sa condition et le mépris dont il était l'objet du fait de ses origines africaines. Il aborda les rapports difficiles avec les femmes arabes à peau blanche :

« Si ma peau était rose les femmes m'aimeraient. Mais le seigneur m'a affligé d'une peau noire. Bien que je sois esclave, mon âme est noble et libre. Bien que ma peau soit noire, mon caractère est blanc ». En 660, Suhaym meurt tué et brûlé par ses maîtres qui lui reprochaient d'avoir eu des visées sur certaines femmes de leur famille. Or un esclave n'a droit à aucune prétention dans ce domaine. Si sa condition servile était déjà un rempart indépassable, sa couleur de peau n'arrangeait rien et ajoutait l'offense à l'inconcevable.

Le poète Kuthayyir n'hésitait pas, par exemple, à truffer ses poèmes de références raciales pour se moquer des Noirs. Une de ses cibles n'était autre que Nusayb Ibn Rabah (mort en 726). Kuthayyir s'amusait à jouer sur la peur et la méfiance qu'inspiraient les Noirs dans la société arabe, comme le font déjà les racistes contemporains : « J'ai vu, dit Kuthayyir dans son poème, Nusayb égaré au milieu des hommes ; sa couleur est celle du bétail. Vous pouvez le reconnaître à sa brillante noirceur ; même opprimé, il a la face sombre de l'oppresseur ». Le Noir, du fait de sa carnation, est automatiquement assimilé à un oppresseur aux yeux de Kuthayyir. Nusayb, malgré l'insistance de ses amis, refusa de répondre et se contenta d'affirmer que Kuthayyir n'avait fait que dire la vérité, à savoir l'« appeler un Noir ». Or le poème ne dit pas que cela. Nusayb nia purement et simplement la volonté qu'avait Kuthayyir d'assimiler sa couleur à celle d'un animal et de sous-entendre que sa tête noire était, à elle seule et indépendamment de ses actes, le symbole de l'oppression.

Une autre anecdote démontrera l'aliénation caractérisée du pauvre Nusayb qui était dans la ligne de mire du calife Omeyyade Abd'al Malik. Le calife devait lui infliger le châtiment suprême pour une faute qu'il avait commise. Finalement amnistié, le poète noir remercia son maître en s'auto-flagellant :

« Je suis noir comme la poix, mes cheveux sont laineux, mon aspect repoussant. Je n'ai pas obtenu la faveur que tu m'octroies grâce à l'honorabilité de mon père, de ma mère, ou de ma tribu. Je ne suis parvenu que par mon esprit et ma langue. Au nom de Dieu, je t'adjure, ô Commandeur des croyants, ne me prive pas de ce qui m'a permis d'atteindre cette situation auprès de toi »

Après avoir sauvé sa tête, Nusayb remercia le calife. Et de quelle manière ? Il se sentit obligé de rabaisser son être afin de flatter le supposé ou réel orgueil raciste de celui qui avait droit de vie ou de mort sur lui. En somme, il lui demanda tout simplement de ne pas focaliser sur sa couleur - qui n'était qu'un lègue poisseux de ses parents - mais plutôt de s'attarder sur son talent et sa langue. Or ce talent est justement ce qui lui a permis d'être ce qu'il est. Il supplia donc le calife de le juger là-dessus. En soi, ce n'est pas aberrant. Sauf qu'ici, il semble accepter l'idée que l'on puisse aussi être jugé sur sa couleur et que, dans le cas où celle-ci serait celle du malheur, être condamné dessus. L'auto-phobie de Nusayb l'affranchi ne se démentait pas lorsqu'il évoquait ses propres filles : « ma couleur a déteint sur elles et elles me restent sur les bras. Je ne veux pas de Noirs pour elles, et les Blancs n'en veulent pas »[xv]

Le poète arabe Jarin (mort en 729) se moqua de son confrère noir al-Hayqutân (le perdreau) en affirmant, qu'après l'avoir vu habillé d'une chemise blanche, celui-ci lui avait fait penser au sexe d'un âne enveloppé dans du papyrus. Sauf qu'al-Hayqutân n'est pas Nusayb qui fuit les attaques. Sa réplique est d'abord argumentée puis ensuite fulgurante :
« Si mes cheveux sont laineux et ma peau noire comme du charbon, mes mains demeurent ouvertes, nettes, et mon honneur intact. N'es-tu pas de la tribu de Kullayb et ta mère une vilaine brebis ? Les gras moutons sont et ta gloire et ta honte »

On retrouvera cette même façon de conforter les clichés racistes chez un autre poète nommé Nusayb al-Asghar. Adressant un poème à Haroun al-Rachid, Nusayb al-Asghar se moqua de sa propre noirceur et du rejet existant dans la société. Parlant de lui, le poète déclara :

« Homme noir, qu'as-tu à voir avec l'amour ? Cesse de poursuivre les filles blanches, s'il te reste un grain de bon sens. Toi, l'Éthiopien noir, tu ne saurais y prétendre »

L'amour serait réservé aux Blancs. Le Noir, de par sa laideur naturelle, n'a de cesse de courir après ses illusions mais, afin d'être plus en accord avec la raison, il devrait vite se rendre à l'évidence que l'amour n'est pas fait pour lui. Ce passage suppose que l'amour - le vrai - ne serait possible qu'avec une Blanche. On peut supposer, sans trop conjecturer, que Nusayb al-Asghar ne conçoit tout simplement pas l'amour avec autre chose qu'une femme blanche et que, conséquence banale de ce raisonnement, il méprise lui-même les siens, dont les femmes noires. Cette constante de la laideur des Noirs est reprise avec une déconcertante banalité par beaucoup de poètes noirs ou métis pratiquant l'autophobie - la haine de soi.

Et c'est effectivement la thèse que défendra le poète ottoman Fazil Husnu Dagl au 19ème siècle en affirmant « c'est folie que de faire l'amour avec des Noirs lorsque l'on peut le faire avec des Blancs et c'est manquer de sagesse que d'élever ceux dont le rang doit rester celui des serviteurs ».

Cette thématique de la laideur du Noir est tout simplement un lieu commun très présent dans le monde arabe. Au point où elle est utilisée dans certaines figures de rhétorique ne visant pourtant pas explicitement la laideur supposée des Noirs. Elle sert en fait à bien marquer l'importance d'une indication ou d'une règle. Lorsque, par exemple, on veut insister sur le rôle essentiel de la piété ou du choix de la bonne épouse selon l'islam, on trouve normal d'ériger la femme noire comme « préférable au pire ». Ainsi, pour appuyer la préférence d'une épouse pieuse à une épouse non-pieuse, on n'hésitera pas à dire : « N'épousez pas des femmes pour leur beauté, qui peut les détruire, ni pour leur argent, qui peut les corrompre, mais pour leur religion. Une esclave noire au nez fendu est préférable si elle est pieuse »[xvi].

Le caractère repoussant de la femme noire est ici symbolisé par son « nez fendu ». Une fois posée le postulat de la répulsion naturelle de la femme noire, celle-ci est jugée cependant préférable à une femme blanche non-pieuse pour bien souligner l'importance de la piété. Cette formule souligne de la manière la plus efficace l'importance de la piété puisque cette valeur rend même une négresse, dont la laideur ne fait pas mystère pour les naturels de cette époque, préférable à une femme ne respectant pas une certaine rigueur religieuse. On voit là la banalisation des stéréotypes sur les Noirs.

Ce type de formules existe à profusion dans les écrits des historiens, des aventuriers et d'autres témoins. Ibn Butlan, qui a dû faire des études de médecine pour connaître le fonctionnement du système digestive et, plus particulièrement, la fabrication de salive, disait des femmes zanj : « Plus elles sont noires, plus elles sont laides et leurs dents agressives. Elles ne peuvent rendre que de petits services et sont dominées par leur tempérament malfaisant et leur obsession de tout détruire. Leur apparence commune et grossière est rachetée par leur talent à chanter et à danser. Elles ont les dents plus claires de tous les peuples parce qu'elles ont beaucoup de salive, et elles ont tant de salive parce que leur digestion est mauvaise. Elles peuvent endurer de durs travaux, mais il n'ya aucun plaisir à les fréquenter, en tant que femmes, à cause de l'odeur de leurs aisselles et de la grossièreté de leur corps »[xvii]

On pourra lire ça et là des références à des Noirs pieux qui deviennent « blancs » pendant que des débauchés blancs n'ayant pas eu une vie pieuse seraient devenus noirs. Le Blanc est symbole de pureté tandis que le Noir incarne tout ce qui est sale, mal, méchant. On retrouve ce type de références chez l'auteur Ibn Hazm au 11ème siècle. Là encore, voulant insister sur l'importance de la piété, il ne trouve rien de mieux que de prendre le nègre comme référent : « Dieu a décrété que le plus dévot est le plus noble, même si c'est un bâtard de négresse (...) »[xviii]. Nous savons parfaitement d'expérience que lorsqu'un groupe humain est ostracisé de manière formelle, il devient une sorte de référent en matière d'évitement tout comme il devient un bouc-émissaire. Le Noir avait cette fonction dans pratiquement toute la société arabe.

La dévotion rend noble, pour preuve même un métis de négresse peut l'incarner. En voulant démontrer l'universalité de l'islam, ces auteurs démontrent surtout la prégnance, au cours de plusieurs siècles, des stéréotypes dévalorisants vis-à-vis des Africains. Ibn Hazm employa, par ailleurs, des formules clairement racistes pour illustrer des comparaisons douteuses dans d'autres textes. Lorsqu'il veut remettre à sa place ses lecteurs, les rappelant à la modestie, il évoque le roi du Soudan. C'est ainsi que dans un traité de morale, il somme ses lecteurs à l'humilité à travers une formule qui fleure bon le racisme primaire :

« Même si tu étais roi de tous les musulmans, il faudrait que tu saches que le roi du Soudan, un sale Nègre ignorant qui se promène les couilles à l'air, possède un royaume plus grand que le tien ». Il ne s'agit ici absolument pas d'une insulte envers le roi du Soudan, ce dernier est tout simplement pris comme référent de comparaison pour rappeler son lectorat à la modestie. L'expression « sale Nègre ignorant » est normale dans sa bouche.

Sur la transmission de ces clichés racistes, il faut donner la palme d'or aux divers historiens, géographes et auteurs arabes, perses, turcs et berbères qui on véhiculé des stéréotypes totalement faux sur les Africains. Ils n'ont fait que conforter la mauvaise image d'Africains qui seraient un peuple totalement différent des autres, qui aurait des us et coutumes abjects, sans rapport avec ce qui se ferait chez les hommes civilisés. Certains se sont contentés de compiler des ragots de seconde main qu'ils n'ont jamais vérifiés. Des gens comme Al-Barmi, Al-Bekri n'ont jamais mis les pieds sur la moindre terre peuplée d'Africains mais çà ne les empêchera pourtant pas de récupérer ça et là des écrits divers pour les enrichir de leurs fantasmes.

Et Al-Bekri d'affirmer qu'au pays des Noirs, les hommes ont adopté un dieu qui prend la forme d'un serpent qui vit dans une caverne et que la puissance fantastique de ce dieu-serpent est telle que les « chèvres [du coin] sont fécondées sans l'intervention de boucs par simple frottement contre un arbre propre à ces pays ». Et, bien entendu, il jure que cette vérité aurait été « attestée par des musulmans dignes de foi ».

Abu Hamid qui, au 11ème siècle, a longuement écrit sur les Africains, n'a jamais mis les pieds en Afrique et s'est contenté de « reprendre sans vergogne n'importe quelle sottise et charger son discours d'anecdotes toutes plus fantaisistes les unes que les autres »[xix]. Abu Hamid raconta notamment comment un chef berbère partant pour le pays des Noirs croisa sur sa route des hommes sans tête, les yeux incrustés sur chacune des épaules et la bouche au milieu de la poitrine. Le pire dans tout cela ? C'est qu'Abu Hamid jure que son histoire est authentique. Pourtant, il sera copié et recopié, tout en influençant d'autres historiens qui reprendront ses descriptions de tels peuples africains en fantasmant à leur tour.

D'autres interprètent des faits à leur propre « sauce », créent des légendes grotesques, le tout sur un ton péremptoire. Léon l'Africain prétend ainsi être allé de Tombouctou à Djenné « en suivant le courant » alors que le courant ne pouvait que l'emmener dans le sens opposé de son trajet. Ibn'al Hakam, qui a raconté l'histoire de la conquête de l'Afrique du nord par les Arabes, parle des Berbères de Sous comme appartenant à une race dont les « femmes n'ont qu'un seul sein ». Au 14ème siècle, al-Umari, auteur d'une encyclopédie géographique et historique, prétendait qu'à la cour du roi du Soudan on mangeait de la chair humaine. Il va même jusqu'à citer un exemple où le soi-disant roi lui aurait échangé deux esclaves contre du sel. Puis, quelques jours plus tard, le roi lui aurait ordonné sur le ton de la sentence : « je t'ai donné deux esclaves, tu dois les tuer et les manger. Leur chair est ce qu'il y a de meilleur »
Nous le voyons, les auteurs arabes ont raconté beaucoup de sottises que d'aucuns ont repris sans se soucier de leur réalité. Tout comme durant l'esclavage occidental, la haine des Noirs a été assimilée par beaucoup de métis afro-arabe et de Noirs comme c'est le cas pour un Abu Dolama. Poète arabe d'origine africaine, Abu Dolama - père de la nuit en arabe est un ancien esclave, bouffon et poète à la cour des Abbassides d'Irak au 8ème siècle. Il n'hésita pas, lui aussi, à fustiger le Noir qu'il était pour amuser la galerie. Beaucoup de ses vers visaient clairement à flatter l'orgueil des Arabes blancs dans l'infériorisation des Noirs. Parlant de lui-même, de sa mère et de sa famille africaine, il n'hésita pas à lancer : « Nous sommes de la même couleur ; nos visages sont noirs et laids, nous avons honte de notre nom »[xx]

Déjà, à cette époque, le racisme se confond avec l'hypocrisie. On n'hésite pas à abhorrer le nègre de condition inférieure en lui faisant porter toutes les tares qui permettaient son exclusion de la société. Mais dès que ce nègre devenait célèbre, sa couleur de peau disparaissait et il devenait une sorte de people auprès de qui il fallait être vu. Cette expérience, Said ibn Misjah l'a vécue à ses dépends. Chanteur célèbre du tout début du 8ème siècle, il se fit héberger à Damas par une troupe de musiciens qui ne savait pas qui il était. Au cours d'une sortie dans un cabaret de chanteuses de la ville, Said accompagna la troupe de musiciens mais décida de s'éclipser au cours du repas car il avait sentit la gêne : « je suis noir. Certains parmi vous peuvent me trouver déplaisant. Je vais donc me retirer et manger de mon côté ». Personne ne le retint, bien évidemment. Au contraire, on approuva son bon sens. Plus tard, lorsque les chanteuses animèrent le lieu de fête, chacune de ses expressions d'enthousiasme devenait problématique. Les chanteuses n'étaient pas là pour divertir un nègre et se sentaient offensées de voir cet être repoussant exprimer sa joie. Pour ses compagnons musiciens, la coupe était pleine et ils furent obligés de le mettre en garde en lui rappelant que, dans cet endroit, il était tout juste toléré et qu'un Noir devait se faire tout petit. Pourtant, « plus tard, quand ils connurent son identité, tous luttèrent pour être vus en compagnie du chanteur ».[xxi]

Face à ces préjugés, le premier essai traitant des problèmes de racisme envers les Noirs fut écrit par Djahiz de Bassora. Ce poète était un descendant d'esclaves et, quoique métissé, il n'avait pas pour autant oublié ses racines éthiopiennes qui devaient de toute façon lui être rappelées constamment. C'est en ce nom qu'il écrivit Les fanfaronnades des Noirs contre les Blancs. Dans ce texte, Djahiz s'échina à redorer le blason des Zanj. Il souligna leur qualité naturelle, leur beauté, leur forte constitution, leur vaillance et leur générosité. Il se porta absolument en faux contre la stupidité qui leur collerait à la peau et souligna l'éruption du racisme arabe envers les peuples à carnation foncée à partir du moment où l'islam domina cette partie du monde et que les Arabes se virent comme appartenant à une culture supérieure à toutes celles de leurs proches et lointains voisins :

« À l'époque du paganisme, vous nous trouviez assez bons comme époux pour vos femmes, et pourtant, quand vint la justice de l'islam, vous avez trouvé ça mauvais [...] Si vous dites : "Comment se fait-il que nous n'ayons jamais rencontré un Zendj qui eût ne serait-ce que l'intelligence d'un enfant ou d'une femme", nous pourrions vous répondre : "Avez-vous jamais vu, parmi les captifs de race blanche, dans le Sind et l'Inde, des êtres intelligents, savants, éduqués et de caractère ?". Vous n'avez jamais vu les vrais Zendj. Vous n'avez vu que des hommes prisonniers, maltraités et déjà humiliés, arrachés au pays des forêts et des vallées de Qanbaluh (Qanbaluh est l'endroit où vous ancrez vos vaisseaux) ; ce sont les gens des classes les plus modestes et les plus basses de nos esclaves »
À cette époque, les Arabes faisaient une distinction entre quatre catégories de Zanj que cite Djahiz : les Qanbaluh (orthographié par Popovic en Qunbulah), les Langawiyya, les Naml et les Kilab. Ces deux dernières catégories démontrent de quelle manière les Africains étaient perçus : Naml veut dire fourmis et Kilab signifie chiens. Des noms d'animaux et d'insectes pour des hommes ? Non ! Car les Zanj ne sont pas des hommes. Les Wakwak d'Indonésie n'en font pas mystère : même eux chassent les nègres de la côte est du continent et sont en concurrence avec les Arabes. C'est d'ailleurs eux qui introduisent des Africains esclaves en Chine où on les nomme zhengqi[xxii].

Au 13ème siècle, Djamal al-Din, auteur de « Éclairage de l'ombre qui masque les mérites des Noirs et des Éthiopiens », dénonce le racisme et les préjugés grotesques vis-à-vis des Africains. Il évoque l'influence de l'Éthiopie sur l'Arabie, la présence de nombreux mots d'origine éthiopienne dans le Coran etc. Cependant, les auteurs qui critiqueront la négrophobie seront très peu nombreux et n'auront jamais l'impact des autres auteurs racistes qui, eux, laisseront une image désastreuse des Africains.

Le conte des Milles et Une Nuits est ainsi rempli de stéréotypes liés à la sexualité débordante des Noirs. On le voit clairement dans l'histoire du roi Chahzamãn qui, sur le point de s'absenter pour plusieurs jours de son palais afin de rendre visite à son frère, entama son voyage avant de revenir sur ses pas pour récupérer quelques bricoles qu'il avait oubliées. Et là, surprise ! Sa femme était dans son lit accompagné de son esclave noir. Le temps de les occire au sabre tous les deux, il reprit la route pour son voyage comme si de rien n'était.

Lorsque la narration du conte évoque le quotidien du frère du roi, elle tombe là encore dans les mêmes clichés : son frère s'absente pour chasser ? Une vingtaine de femmes du palais se jettent sur leurs esclaves mâles noirs pour être honorées. La femme du roi est elle aussi sexuellement servie par un esclave nommé Messaoud. Au premier claquement des mains, Messaoud « descendit du haut d'un arbre »[xxiii] pour embrasser la femme du roi. Les Milles et Une nuits, en plus de narrer avec une déconcertante banalité une société abbasside qui donnait l'impression d'être incapable de fonctionner sans la contribution des étrangers asservis, soulignait purement et simplement la hantise de la puissance sexuelle du mâle africain qu'il fallait brider au risque de la voir s'exprimer à ses propres dépends :

« Le roi Chahzamãn et le roi Chãrhiyãr étaient visiblement des adeptes de la suprématie des Blancs, avec fantasmes, ou plutôt des cauchemars, sexuels, dont la nature nous est tristement familière. (...) Les Noirs apparaissent fréquemment dans les histoires de ces Nuits. Ils remplissent alors, presque invariablement, des fonctions subalternes - portiers, domestiques, esclaves, cuisiniers, garçons de bain et assimilés -, ne s'élevant que rarement, si tant que cela arrive, au-dessus de ce niveau social. Plus révélatrice peut-être est encore l'histoire du bon esclave noir qui, ayant vécu dans la vertu et la piété, en fut récompenser en devenant blanc au moment de sa mort. [...] »[xxiv]

Les traditions des musulmans de Perse (Iran) et d'Inde reprendront, elles aussi des stéréotypes racistes. Les Perses rivalisent d'ailleurs très souvent avec les Arabes en matière d'imageries dégradantes envers les Noirs. Vers 1530, un célèbre tableau peint en Perse, nommé « la femme qui surprit sa servante en des rapports indécents avec un âne » illustrait parfaitement l'appétit sexuel des Africains : on y voyait une esclave noire prise par un âne. Ce sont des peuples qui razzient et achètent des gamines de 12 ans pour en faire des objets sexuels qui se permettent de souligner la débauche des Africains. Comme toujours, le raciste essaye systématiquement de démontrer que son racisme est légitime et, pour ce faire, il doit se convaincre que ceux qu'ils exploitent sexuellement sont eux-mêmes des obsédés sexuels. Ainsi, cela lui permet de ne pas se poser de question sur sa propre perversité, son désir de dominer sexuellement l'autre ou son appétit sexuel refoulé.

Nous retrouverons ce racisme chez certains gardiens et transmetteurs de la tradition islamique qui se permettaient d'inventer des propos racistes à leur prophète afin que la haine de l'Africain se fasse en toute bonne conscience :

« Pendant les siècles qui ont suivi la mort du Prophète, des musulmans pieux ont rassemblé un grand nombre de ce qu'on appelle des hadith, c'est-à-dire des traditions concernant les paroles et les actes de Mahomet. Une très grande proportion de ces hadit est apocryphe - mais, si cela leur enlève toute valeur touchant l'opinion du Prophète lui-même, ce sont néanmoins des preuves de l'évolution des attitudes pendant la période où ils furent fabriqués. Un certain nombre de ces traditions traitent des questions de race et de couleur. Il y en a qui condamnent spécifiquement une race ou une autre. On rapporte ainsi que le Prophète aurait dit des Éthiopiens : "quand ils ont faim, ils volent ; quand ils sont rassasiés, ils forniquent". Cela est incontestablement apocryphe, mais c'est aussi un proverbe arabe concernant les Zanj, bien connu dans les temps anciens et modernes »[xxv]

Apocryphes, c'est-à-dire non-authentiques, inventées de toutes pièces pour répondre à un besoin de justifier une action, une exploitation, un avantage et des intérêts ponctuels. Une autre tradition apocryphe fait dire au prophète de l'islam : « ne mettez pas de Noir dans votre arbre généalogique »[xxvi]ou encore : « faites attention en choisissant le partenaire de votre progéniture et prenez garde de ne pas épouser un Zanj, car c'est une créature dénaturée »[xxvii] Tous ces propos sont jugés comme étant faux. Pourtant, une question viendrait à l'esprit de n'importe quel curieux : s'ils sont apocryphes, pourquoi avait-on donc intérêt à faire croire qu'ils étaient authentiques ? Et cette réponse est aussi simple que cela : le fait que des traditions aient prêté de tels propos à leur prophète démontre que certains ne reculaient devant rien pour affirmer leurs positions dominantes et racistes. Cela démontre surtout comment l'islam leur a servi de « vide-aigreur » en l'instrumentalisant de toutes les manières possibles pour rendre acceptable leur propre racisme. Le but était de « sacraliser » la haine du Noir et d'en faire une parole sacrée défendue par Mohammed en personne. Ainsi, la déculpabilisation était permise : « allez-y, haïssez le nègre. C'est hallal (permis) ».

Notes:


[1] B. Lewis op. cit. p. 64

[2] Ibid.

[3] B. Lewis op. cit p. 61

[4] L'historien Jacques Heers - qui est proche des milieux de la droite catholique traditionnaliste - évoque dans son livre cité plus haut les mawali comme étant exclusivement des « Noirs ». Or aucun historien ne désigne les mawali comme étant spécifiquement d'anciens esclaves noirs affranchis mais bien des esclaves affranchis non-arabes. Il écrit : « Le mawla est le Noir, esclave converti et affranchi » p. 167

[5] B. Lewis op. cit.

[6] Ibid.

[7] On notera que l'ex-leader palestinien du FPLP, feu-George Habache, portait un nom qui devait sûrement trahir des origines éthiopiennes d'un ancêtre lointain.

[8] Cité par B. Lewis

[9] Bernard Lewis, op. cit., p. 49

[10] Ibid.

[11] Au Maroc, les descendants d'esclaves ont une culture propre très inspirée de leurs racines africaines. On les nomme les Gnawa. Ce terme vient du mot berbère igginaw (au pluriel gnawa) qui signifie noir. Le mot Guinée est une transcription européenne de gnawa.

[12] Alexandre Popovic «La Révolte des esclaves en Iraq au IIIe, IXe siècle », éd. P. Geuthner (1976)

[13] Said al-Andalusi, « Tabaqat al-Umam », 1935 pp.37-38

[14] Cité par Jacques Heers « Les négriers en terre d'islam », p. 53

[15] B. Lewis, op. cit., p. 132

[16] Ibn Maja « Sunan », vol. 1 Le Caire p. 597 cité par B. Lewis.

[17] Cité par Jacques Heers, op. cit. p. 152

[18] Ibn Hazm « Jamharat Ansab al-Arab », Le Caire 1948, p. 1 cité par B. Lewis op. cit. p. 59

[19] Jacques Heers op. cit. 164

[20] Mohammed ben Cheneb « Abu Dolama, poète bouffon de la cour des premiers califes abbassides », 1922, Alger cité par B. Lewis, op. cit.

[21] B. Lewis, op. cit.

[22] Extrait de Les merveilles des Indes : « Ibn Lakis m'a rapporté qu'on a vu les gens du Wakwak faire des choses stupéfiantes. C'est ainsi qu'en 334 heures (945-46) ils leur arrivèrent dans un millier d'embarcations et les combattirent avec la dernière vigueur, sans toutefois pouvoir en venir à bout car Kanbalu est entourée d'un robuste mur d'enceinte autour duquel s'étend l'estuaire plein d'eau de la mer, si bien que Kanbalu est au milieu de cet estuaire comme une puissante citadelle. Des gens du Wakwak ayant abordé chez eux, ils leur demandèrent pourquoi ils étaient venus précisément là et non ailleurs. Ils répondirent que c'était parce qu'on trouvait chez eux des produits qui convenaient à leur pays et à la Chine, comme l'ivoire, l'écaille, les peaux de panthères, l'ambre gris, et parce qu'ils recherchaient les Zeng, à cause de la facilité avec laquelle ils supportaient l'esclavage et à cause de leur force physique. Ils dirent qu'ils étaient venus d'une distance d'une année de voyage, qu'ils avaient pillé des îles situées à six jours de route de Kanbalu et s'étaient rendus maîtres d'un certain nombre de villages et de villes de Sofala des Zeng, sans parler d'autres qu'on ne connaissait pas. si ces gens-là disaient vrai et si leur rapport était exact, à savoir qu'ils étaient venus d'une distance d'une année de route, cela confirmerait ce que disait Ibn Lakis des îles du Wakwak : qu'elles sont situées en face de la Chine. »

[23] Cité par M. Chebel op. cit, p. 41

[24] B. Lewis, op. cit., pp.36-37

[25] B. Lewis, op. cit. p. 57

[26] G. Young « Corps de droit ottoman », vol. 2, 1903, pp.171-172 cité par B. Lewis

[27] Ibid.


* Partie 1 - L'esclavage des Noirs en terre d'islam
* Partie 2 - Le racisme antinoir ordinaire
* Partie 3 - A l'assaut de l'Afrique
* Partie 4 - La traite des Blancs en Europe
* Partie 5 - L'esclavage sexuel
* Partie 6 - Esclaves militaires, chasses aux nègres et razzias
* Partie 7 - Conclusion