DOSSIER: L’Esclavage des Noirs en Terre D'ISLAM - Autopsie d´un Génocide sans précédent?* 5/7
5. L'esclavage sexuel
par Kham Piankhy
« Derrière chaque esclave-femme il y a un projet de société fondé sur l'asservissement du faible au plus fort. Ainsi la femme, en tant qu'elle est objet de production au sens marxiste du terme, demeure un être soumis et aliéné à plusieurs niveaux de son existence : sexuel, économique, maternel, etc. Dans le système esclavagiste, son enfance ne lui appartient pas, ni sa liberté, ni son avenir, car lorsque son aliénateur meurt, elle passe sous l'autorité de l'héritier direct. Son calvaire commence très tôt, pratiquement à la naissance. À l'adolescence, son destin est sans surprise : elle deviendra concubine. Si elle est achetée vierge, son prix est supérieur - pratiquement le double - à celui d'une jeune fille qui ne l'est pas. Enfin, une fois sortie du marché de la jouissance, elle sera affectée à l'éducation des enfants, parfois eux-mêmes esclaves, ou au ménage » -- Malek Chebel
Voici un des aspects les plus révoltants de l'esclavage musulman dont on ne parle pourtant presque jamais : l'exploitation sexuelle des femmes. Tout musulman de la « Haute société » voulant étaler ses signes extérieurs de richesse se devait d'avoir des esclaves et des « concubines ». Ce terme de « concubines » est un doux euphémisme pour désigner des esclaves sexuelles dont le maître pouvait user et abuser. C'est-à-dire que ce sont des femmes, en général plutôt belles et attirantes, achetées sur des marchés aux esclaves par des hommes uniquement pour en faire les instruments de leur débauche sexuelle. Le statut de « concubine » était un statut légal, reconnu dans les lois islamiques. Le Coran l'évoque d'ailleurs clairement dans plusieurs passages comme nous le rappelle Malek Chebel :
« (...) devant tenir compte de la désapprobation des phallocrates de tous bords vis-à-vis de la limitation à quatre du nombre des femmes légitimes, le Coran et, à sa suite, le Prophète ont en quelque sorte libéralisé le nombre des concubines, surnommées pudiquement : "Ce que votre main droite a possédé" (ma malakate aymanakûm), concept à propos duquel règne une certaine controverse »
On comprend aisément que face à cette réalité, aucun scrupule n'émergea de la plupart des musulmans qui achetaient des jeunes filles - parfois âgées d'à peine 10 ans - et des femmes à peine post-pubères pour leur plaisir personnel. Là encore, en voulant statuer sur le bon comportement à avoir vis-à-vis des concubines, sans dénoncer explicitement cette infamie, le Coran a avalisé cette pratique aux yeux de nombreux musulmans qui, tant qu'elle n'était pas explicitement interdite, n'avaient aucune raison de considérer qu'elle était proscrite. Le résultat a été catastrophique. Car nous tombons là dans l'aspect le plus sordide des rapports dominants/dominés. À la différence des Européens qui pouvaient éventuellement violer leurs esclaves, les Arabo-musulmans razziaient et achetaient sciemment des adolescentes pour en faire des esclaves sexuelles vendus sur les marchés du Caire, de Tunis, de Constantinople, d'Arabie et d'ailleurs. Si l'esclavage sexuel existait, c'était parce qu'il y avait une demande et que cette demande était parfaitement légitime aux yeux des autorités religieuses. Sans l'approbation de ces dernières, l'achat de femmes aurait été un acte honteux. Mais, on l'a vu avec l'interdiction de posséder un esclave musulman pour les chrétiens et les juifs, ces autorités savent sévir lorsqu'il s'agit de leurs intérêts propres. Elles auraient pu interdire purement et simplement l'achat d'êtres humains mais l'humanisme ne faisait pas partie de leur corpus théologique et tant que ça ne concernait pas des musulmans de naissance, leur exploitation ne posait presqu'aucun problème. Un des rares cas où la relation sexuelle est interdite avec une esclave, c'est lorsque le maître a acheté deux sœurs d'un même lot : la loi islamique stipule qu'il n'a le droit d'entretenir des relations sexuelles qu'avec l'une d'entre elles seulement.
Un chiffre qui en dit long : lors du recensement du Caire effectué vers 1870, sur les 10 481 esclaves que comptait la ville, il y avait 8 674 femmes pour seulement 1 807 hommes. Ces proportions sont ici exceptionnelles, certes, et elles ne sont pas représentatives d'une norme, cependant elles démontrent que plus que l'esclavage en lui-même, les femmes subissent une double humiliation. Il n'était pas rare de voir des caravanes entières exclusivement composées de très jeunes maliennes ou sénégalaises, traversant, enchainées comme des animaux, le désert à destination du nord. C'est ainsi que la société nord-africaine est en réalité remplie de métis afro-maghrébins qui s'ignorent. Seulement, du fait de la proximité physique entre le métis afro-arabe et l'Arabe de base, le contraste semble moins saisissant que celui que l'on peut constater entre un métis afro-français et un Blanc aux Amériques. Sur une seule génération, le descendant d'un métis afro-arabe peut parfaitement s'assimiler à la masse sans trop faire tache alors que dans les colonies américaines il lui fallait bien plus de générations, car la distinction physique entre un Blanc et un « mulâtre » (quel joli mot) semble tellement énorme qu'elle demeure perceptible à l'œil nu. Pour citer un exemple : Joachim Noah, le fils de Yannick Noah, qui est le fils d'un métis et d'une blanche, ce que l'on nomme « quarteron » (quel joli mot encore), pourrait très bien aller passer ses vacances au Maroc ou en Égypte sans qu'on le prenne pour autre chose qu'un Marocain ou un Égyptien.
Les esclaves sexuelles ont un prix en fonction de leur jeunesse (la chair fraîche est très appréciée), de leur beauté, de leur virginité et aussi de leur couleur. L'esclave la plus chère est : caucasienne, blanche, entre 10 et 15 ans, vierge, belle avec des formes. Un lot de modèle de ce genre et c'était la fortune assurée pour le jellab car les enchères grimpaient très vite et très haut. Traditionnellement, les esclaves blanches coutaient en moyenne de trois à dix fois plus chères que les esclaves africaines, selon les périodes et les endroits. De même, l'esclave sexuelle achetée en tant que « concubine » valait largement plus cher qu'une esclave domestique.
Frédéric Cailliaud nous renseigne sur la valeur des esclaves africaines que les Égyptiens font durant leur campagne soudanaise vers les années 1820 : « L'âge est une des principales bases sur lesquelles s'établit leur valeur vénale. On appelle "commassy" les filles de onze ans et au-dessous ; "sédassy" celles qui ont de onze à quinze ans ; ce sont les plus estimées, elles valent de 18 à 30 talaris (piastres d'Espagne). Les "balègues" sont celles qui ont passé la quinzième année ; elles ne valent déjà plus que de 8 à 12 talaris. De vingt à trente ans, elles sont réputées vieilles et l'on répugne à s'en charger [...]. Un marchand d'esclaves a un grand intérêt à les bien traiter, et ces pauvres gens, sans chercher à pénétrer le motif des soins qu'il leur prodigue, lui donnent par reconnaissance le nom de père [abou] »[i]
Que l'on n'aille pas croire qu'il s'agissait ici d'acheter des concubines de moins de 11 ans afin d'attendre qu'elles soient majeures pour avoir des relations sexuelles avec elles. Loin s'en faut ! Les jeunes filles étaient achetées « prêtes à l'emploi » et servaient généralement de jouets à tous les hommes de la famille qui avaient tous les droits sur elles.
C'est la structuration d'États forts en Europe de l'est qui a fortement réduit les possibilités d'acquisition d'esclaves blancs, tant mâles que femelles, par les musulmans. L'influence de la religion chrétienne, qui réussit à imposer l'interdiction de réduire des peuples chrétiens en esclavage, précipita la fermeture des marchés aux esclaves qui se trouvaient en Europe. La Reconquista des catholiques d'Espagne chassa les Arabes au 15ème siècle et mit un énorme coup d'arrêt à l'obtention des milliers d'esclavons que le monde arabo-musulman consommait à cette époque. Du coup, du fait de la rareté, les prix devenaient tellement élevés que seuls les puissants pouvaient se payer le luxe d'avoir une esclave sexuelle européenne à peau blanche. Le « petit peuple » se rabattait souvent sur des Africaines car elles étaient moins chères que les Blanches. La préférence des Arabes allait vers les Abyssiniennes : leur teint clair était un bon compromis entre la Blanche qu'on ne pouvait avoir et l'Africaine-type dont on ne voulait pas, sauf pour la fornication. Au sujet des Africaines, il y a donc - encore et toujours - cette séparation chromatique entre celles qui ont la peau claire et celle qui ont la peau foncée. Même leur prix d'achat était conditionné par la couleur : la moins noire coutait plus chère que la plus noire. Dans les travaux de maisons, les Africaines à peau foncée étaient les plus mal loties et on leur réservait le travail le plus pénible.
[ Carte ASIE ]
La jalousie des épouses légitimes des maîtres arabes se transforma très vite en un racisme dépeignant les femmes noires comme des obsédées sexuelles. Beaucoup d'épouses arabes blanches virent les concubines prendre une telle place qu'elles étaient parfois reléguées au second rang. Beaucoup se mirent ainsi à détester les Africaines exactement pour les mêmes raisons qui justifiaient que leur mari les appréciait. Dans les deux cas, le stéréotype voulait que la femme noire soit portée sur le sexe et ait des capacités « kamasutresques » incomparable. Ce point est assez intéressant à noter car on constata exactement le même phénomène aux Amériques avec les femmes mulâtresses et noires qui étaient accusées par les femmes blanches de constamment chercher à attirer leur mari dans la débauche de par leur nature libertine. En Égypte, des mythes courent encore de nos jours sur la sexualité démesurée des Éthiopiennes. Un peu comme ici en France, certains Blancs s'imaginent encore, grâce aux clichés véhiculés sur la facilité supposée des Antillaises ou des Tahitiennes, qu'en arrivant dans ces îles, le mythe allait fonctionner et que, aussi laids soient-ils, leur couleur de peau effacera cette tare pour ne voir en eux que des « êtres suprêmes » à peau blanche. Le géographe Al-Bekri décrivait les esclaves noires des Berbères d'Aouaghost comme étant des femmes « aux croupes charnues, aux parties étroites, qui sont, pour ceux qui les possèdent, aussi attrayantes que des vierges ». On imagine aisément que ces témoignages devaient être issus des Berbères eux-mêmes qui, avec une vulgarité de routier, devaient faire l'éloge des prouesses sexuelles des femmes-objets qu'ils possédaient, histoire de se donner de l'importance et de flatter ainsi leur ego et leur virilité. Ibn Butlan notait, avec la précision d'un obsédé sexuel, que les filles de Bujja « ont la peau dorée, de beaux visages, des corps doux et une chair tendre » et que quand « elles sont importées jeunes, on leur épargne la mutilation et on peut encore les utiliser pour le plaisir ».
Edward Lane, qui vécut en Égypte entre 1833 et 1835, nota que les harems égyptiens étaient parfois garnies de Circassiennes et d'autres blanches mais seulement dans le cas des très riches égyptiens car ces femmes coutaient très chères. Pour ceux n'ayant pas les moyens d'acheter un objet sexuel de type européen, il restait les Abyssiniennes, les Nubiennes et les Zanj. À cette époque, l'esclave noir n'est pas seulement asservi par des riches et des dirigeants turco-égyptiens, toute la population fréquente les marchés humains. Que ce soient les fonctionnaires, les commerçants, les médecins, des bédouins ou de simples fellahs (paysans), chaque membre de chaque classe sociale exploite le travail des esclaves et/ou prend des concubines. Sous les Ayyoubides et les Fatimides régnant en Égypte, la traite des esclaves de sexe féminin était une véritable industrie. La « parution récente du livre de l'Égyptienne Najwa Kamal Kira, consacré aux mignons et aux concubines au temps des deux dynasties égyptiennes [...] [où] par centaines, voire par milliers (...) des femmes furent vendues, achetées et utilisées comme concubines durant cinq siècles »[ii]
Les mignons ! Ces jeunes éphèbes faisaient la joie de quelques jouisseurs d'Égypte. Mais, déjà sous les Abbassides de Bagdad, on en trouvait au palais, tout comme on en trouvera chez les Ottomans plusieurs siècles plus tard. L'esclavage à des fins sexuelles était partie intégrante de toutes ces sociétés qui, si elles professaient la vertu et la piété dans la théorie, ne s'interdisaient pas d'acheter des enfants pour en faire des eunuques ou de prendre pour « concubines » des jeunes filles à peine pubères. En Égypte, l'acquisition d'esclaves était un tel signe de prospérité et de richesse que cette réalité était entrée dans le langage courant à travers des expressions comme « Allahû yarzuqûka mit'lahû kathir » (Que Dieu te pourvoie en nombreux esclaves comme lui).
Edward Lane,encore lui, dit d'ailleurs, au sujet des concubines abyssiniennes, que la plupart d'entre elles sont très belles et qu'elles sont « très appréciées des jouisseurs d'Égypte ». Coûtant moins chères qu'une épouse légitime, les femmes éthiopiennes ont été les poupées gonflables de tout le monde arabe durant les derniers siècles de la traite, au moment où les Blanches se faisaient rares. On retrouvait des concubines du pays des Habach dans toute l'Afrique du nord et en Arabie Saoudite. C'est dans ce pays que déjà, en 1855 comme nous le rappelle Malek Chebel, une fatwa fut éditée par Chaykh Jamal, le chef des Oulémas de la Mecque, qui affirmait que l'abolition de l'esclavage était contraire à la charia. En 1933, Eldon Rutter, un auteur anglais, évoqua dans son livre Les villes saintes d'Arabie, un marché public aux esclaves situé à la Mecque.
Burckhardt remarqua l'explosion du phénomène des « concubines » à la Mecque lors de sa visite en Arabie Saoudite durant l'année 1814. La « couleur de peau des habitants de la Mecque, affirme-t-il, et de Djedda est d'un brun jaunâtre et maladif, plus ou moins foncé selon l'origine de la mère, qui est très souvent une esclave abyssinienne ». Beaucoup d'habitants d'Arabie Saoudite préféraient s'acheter une jeune femme africaine comme on achète du bétail plutôt que de se marier avec une Arabe. Burckhardt confirme que les grandes familles mecquoises ont toutes des esclaves noirs :
« Il y a peu de familles aisées à la Mecque qui n'aient des esclaves. Mahomet trouva le commerce des esclaves africains si solidement établi en Arabie, qu'il n'essaya pas de l'abolir, et ainsi il a confirmé et étendu ce trafic dans toute l'Afrique septentrionale, avec toutes ses cruautés, indépendamment de celles qui ont suivi la propagation de l'islamisme. Les esclaves des deux sexes sont des nègres ou noubas, ordinairement amenés de Souakim ; les concubines sont toujours des esclaves abissines. Nul Mekkaoui riche ne préfère la paix domestique au désir de satisfaire ses passions, tous ont des maîtresses, indépendamment de leurs femmes légitimes : mais si une esclave devient mère, ordinairement son maître l'épouse, ou s'il y manque, il est blâmé par la communauté. À Djidda, l'usage d'entretenir des concubines abissines est encore plus général ; plusieurs Mekkaouis ont même pour épouses des Abissines, trouvant les Arabes plus dispendieuses et moins disposées à céder à la volonté du mari. Beaucoup d'étrangers qui font un court séjour dans le Hedjaz, ont adopté la même coutume ; à leur arrivée, ils achètent une femme, avec le projet de la vendre à leur départ ; mais quelquefois leur séjour se prolonge, l'esclave devient enceinte, ils l'épousent, et se fixent dans la ville. Il y a peu d'hommes non mariés, ou sans une esclave ; cela est d'ailleurs général dans l'Orient, mais nulle part plus qu'à la Mecque. Le mélange du sang abissin a sans doute donné aux Mekkaouis ce teint jaune qui les distingue des Arabes du désert. » [iii]
Si les relations blanc/noir semblent avoir évolué au fil du temps dans les sociétés arabes, c'est toujours dans le même sens : l'homme arabe et la femme noire. Socialement, l'inverse était tout simplement impensable. L'islam acceptant le concubinage, on ne trouvait rien à redire à l'esclavage sexuel qui exigeait razzias et achats permanent de jeunes filles. Les lois islamiques autorisent parfaitement un homme à entretenir des relations sexuelles avec ses esclaves femmes comme on l'a vu avec le code malékite de l'esclavage. Il a droit d'en compter comme bon lui semble. Si les épouses sont limitées à 4, en revanche, le nombre de « concubines » n'est pas restreint. Bien entendu, tout cela est permis pour l'homme car une femme n'avait pas le droit d'effleurer un esclave mâle. La sanction était claire : toute femme ayant des rapports sexuels avec son esclave mâle (adultère) risquait la peine capitale.
Le petit peuple égyptien avait donc accès aux concubines et possédait un espace de leur habitat nommé harem (harem vient du mot arabe harim qui signifie interdit) mais la démesure se rencontrait chez les sultans, califes, beys des pays musulmans où des troupeaux de femmes-objets étaient à la disposition des maîtres. Leur rôle principal était de partager la couche de ceux qui les possédaient mais, en tant que concubines des puissants, elles servaient aussi de confidentes, voire, d'administratrice des finances, d'intendantes.
Les empires musulmans d'Afrique noire se mirent à singer le faste des Arabes. À leurs yeux, le musulman se détachait du païen et de la bestialité inhérente à ceux qui n'embrassaient pas l'islam. Dans leur désir de reproduire tous les aspects de leurs modèles arabes, on vit apparaitre aussi en Afrique islamisée des harems remplies de femmes-esclaves et des fabriques d'eunuques au Bornou - encore et toujours le Bornou. Les Arabes s'interdisaient de pratiquer cette opération mais les Bornouans, les Toucouleurs de Tekrour et les originaires du Barguimi qui se prétendaient tous musulmans, eux, la pratiquaient. Mais là, il s'agissait de vendre des eunuques à des « hommes sacrés » et cette sacralisation des Arabes, perçus comme l'image-modèle de l'islam, méritait que le sale boulot soit fait au Bornou. Au 15ème siècle, le roi bornouan Muhammad Rimfa, comptait, parait-il, 1000 esclaves dans son harem. Au nord de la côte des Zanj, sur les îles qui font face à l'actuelle Somalie, les Africains islamisés et métissés d'Arabes de Kilwa étaient dans le même état d'esprit : Ils alimentaient le Proche-Orient en Zanj, prélevaient 20% de leur butin qu'ils remettaient, au nom de l'islam, aux « chérifs (...) d'Irak, du Hedjaz et d'ailleurs »[iv]
Chez les Ottomans, si les riches turcs adoraient remplir leur harem d'esclaves de toutes origines, il leur arrivait aussi d'en engrosser quelques unes, surtout les esclaves blanches de types slaves. Beaucoup de souverains ottomans étaient ainsi des métis turco-slaves. À côté de cela, on trouvait les fameux Janissaires, de jeunes soldats blancs originaires le plus souvent des Balkans occupés à l'époque par les Ottomans. Ces esclavons étaient enlevés de leur famille à partir de l'âge de huit ans. Puis, on leur imposait la religion musulmane avant de leur faire subir un entrainement dans les corps d'infanterie de l'armée. Les Janissaires joueront un rôle prépondérant dans l'administration ottomane. Ils auront une telle aura et ce corps servira tellement d'ascenseur social que même des Turcs de souche n'hésitaient pas à y faire engager leurs propres enfants.
[ Les Turcs Kirghiz et Kazakhs sont frontaliers du Xinjiang ]
[ Jeune Turc (Kazakh) ]
Il faut rappeler que, à l'origine, les Turcs sont un peuple de type mongoloïde avec des pommettes saillantes et des yeux bridés, comme on en trouve encore parmi leurs cousins kazakhs ou ouigours de la province chinoise du Xinjiang. Le peuple turc est un peuple comptant Kazakhs, Ouzbeks, Azéris, Turcs de Turquie etc. Les Turcs de Turquie se sont métissés avec quasiment tous les peuples qu'ils croisèrent dans leur longue traversée des plaines d'Asie jusqu'au porte de l'Eurasie. Ce que rappelle l'historien Jean-Paul Roux, spécialiste de la civilisation turque :
« Il coule beaucoup plus de sang étranger dans les veines des Turcs - mongol, chinois, iranien, grec, caucasien, russe, africain - que de vieux sang turc, de ce sang qui faisait les pommettes saillantes et les yeux bridés »[v]
[ Un Turc du peuple Ouïgour de Chine ]
Cette complexité de l'Histoire nous fait presque sourire lorsque l'on affecte de tendre l'oreille pour s'arrêter sur les opinions de ceux qui évoquent les « races pures ». Pour les racistes, on le savait déjà. Mais personne n'a encore mesuré la prégnance et l'influence de cette « logique des essences » dans le discours des « pro-métissages » qui sont tous persuadés d'avoir inventé l'eau chaude en considérant qu'un peu de sang X quand on est Z, correspond à une nouvelle réalité jamais exprimée jusqu'ici dans toute l'humanité. Un peu d'humilité et de lecture leur feront, certes, le plus grand bien et les inciteront peut-être, je dis bien peut-être, à arrêter de croire que les luttes contre le racisme doivent se centrer sur la seule question du métissage et des couples mixtes. Toujours est-il que si des examens génétiques étaient pratiqués en Afrique du nord, on aurait sans doute autant de chances de trouver des gènes berbères, africains, turcs et européens que de gènes des peuples du désert arabique.
En 1908, le sultan ottoman Abdul-Hamid avait 370 esclaves dans son harem surveillées par 127 eunuques. La proportion parait absurde mais toutes ces esclaves ne seraient rien sans les eunuques. Au départ, ces eunuques sont slaves, turcs, byzantins, grecs et africains. Mais très vite, les Africains constitueront l'écrasante majorité d'entre eux. À la cour ottomane, c'est à partir de 1582 que les Noirs en provenance surtout d'Égypte deviennent majoritaires et supplantent les « Slaves ». Chez les Ottomans, le harem est tellement important que le chef des eunuques est le quatrième personnage du régime. Non pas que c'était un honneur d'être un eunuque, mais celui-ci était un confident sûr, dans une atmosphère où les intrigues de palais étaient légions, où les successions ne se faisaient quasiment jamais sans messes basses et assassinats. Dans cette ambiance paranoïaque, l'eunuque, fidèle serviteur, obséquieux laquais du sultan est largement préférable à certaines fréquentations intéressées. Il ne remet pas en cause l'autorité de son maître. Il ne peut avoir d'enfants, ce qui annule le risque d'une trahison de sa descendance chez qui aurait pu germer un désir de pouvoir.
On utilise ces hommes castrés dans toutes les cours musulmanes comme gardiens de harems, de lieux saints, de palais et de maisons. Ce sont aussi des « super-intendants », ils s'occupent de surveiller les autres esclaves, d'espionner les membres hostiles de la famille du souverain, ils servent dans l'administration etc. Tout comme la concubine, leur dévouement les fait largement préférer aux membres de famille du maître. Cependant, il y a un revers à la médaille : le moindre soupçon d'une trahison ou la perte de confiance du maître se terminent par l'exécution de l'esclave. Ce confident sait tellement de choses sur les habitudes, voire l'intimité des puissants qu'il sert, que seule la mort peut apaiser la conscience des sultans, califes et autres émirs. La vie d'un eunuque ne tient quasiment à rien.
Le calife abbasside al-Maqtadir (908-932) possédait à lui seul 11 000 eunuques dont 7000 étaient des Éthiopiens et des Zanj. En Arabie Saoudite, comme nous le confirmera Burckhardt, on voit beaucoup d'eunuques africains utilisés à la Mecque. Visiblement, cette réalité a perduré puisque, dans les années 1980, « plusieurs voyageurs ont rapporté [avoir vu] des eunuques qui, sur les Lieux saints, assumaient la lourde tâche de séparer les espaces féminin et masculin et de veiller à la bonne moralité des pèlerins »[vi]
[ Un kislar-aga (chef des eunuques noirs) sous les Ottomans ]
Dès le 9ème siècle, le calife abbassides al-Amin (809-813) comptait déjà des milliers d'eunuques dans deux corps racialement distincts : un corps de 4 000 eunuques blancs à qui on avait juste coupé les testicules. Puis un autre corps de 7 000 eunuques noirs qui eux étaient privés des testicules et de leur verge - la discrimination raciale se faufile jusque dans de telles opérations. Les premiers étaient appelés les sauterelles (djaradiyya) ; les seconds les corbeaux (ghurabiyya). Au 10ème siècle, l'Égypte sera gouvernée par un eunuque noir nommé Kafur. D'origine nubienne, le surnom « Abu'l Misk » a été donné à Kafur par le calife en personne. L'eunuque noir « avait la lèvre inférieure percée, le ventre gros, les pieds mal faits et le corps pesant » nous affirme Makrisi. C'était un abid qui a été vendu à l'âge de dix ans à un certain Ebn-Abbas. Ce dernier, selon Makrisi, envoya son esclave faire un présent à l'émir Abu Bakr mais celui-ci rejeta le cadeau, lui préférant l'esclave noir. Il prit donc Kafur comme on prend un vulgaire objet qui nous plait. De cette position, Kafur devint un des serviteurs les plus zélés du palais au point d'être proche de Muhammad ibn Tughj, futur fondateur de la dynastie égyptienne des Ikhshidites. À la mort de ce dernier, son fidèle eunuque Kafur prit par force - plusieurs prétendants au trône seront mystérieusement éliminés par empoisonnement - et par ruse le contrôle de l'Égypte pendant 20 ans. À la mort de son maître, Kafur avait en main l'« administration de l'Égypte et de la Syrie, tant pour les finances que pour le personnel », précise encore Makrisi. Bien qu'il fût un excellent administrateur, l'eunuque nubien cristallisa une haine certaine au sein des hommes de lettres qui ne supportaient pas d'être gouvernés par un eunuque noir. C'est ainsi que le poète al-Mutanabbi vouait une haine féroce à Kafur :
« Pour qu'un esclave pervers assassine son maître ou le trahisse, faut-il le former en Égypte ? Là-bas, l'eunuque est devenu le chef des esclaves en cavale, l'homme libre est asservi ; on obéit à l'esclave.
L'esclave n'est pas un frère pour l'homme libre et pieux même s'il est né dans les habits d'homme libre. N'achète pas un esclave sans acheter une trique car les esclaves sont infects et bons à rien. Jamais je n'aurais pensé vivre pour voir le jour où un chien me ferait du mal et en serait loué. Pas plus que je n'imaginais voir disparaître les hommes dignes de ce nom et subsister l'image du père de la générosité et voir ce nègre avec sa lèvre percée de chameau obéi par ces lâches mercenaires
Qui a jamais enseigné la noblesse à ce nègre eunuque ? Sa parentèle "blanche" ou ses royaux ancêtres ? Ou son oreille qui saigne dans les mains du négrier, ou sa valeur, car pour deux sous on le jetterait ? Le misérable Kafur est le plus méritant des mal-nés ; il faut l'excuser compte tenu de toute bassesse - mais une excuse est parfois un reproche - Et s'il en est ainsi [c'est] parce que les étalons blancs sont incapables de noblesse, alors que dire d'eunuques noirs ? »[vii]
L'esclave n'est donc pas un frère pour l'homme pieux même lorsqu'il est né dans des habits d'homme libre. Voilà qui pose clairement le problème : si ce n'est pas l'habit qui fait le moine, qu'est-ce donc ? Sa couleur, son origine ? Dans un autre poème, al-Mutanabbi s'en prend encore à Kafur mais cette fois il insiste clairement sur sa race : « la moralité de l'esclave [noir] est limité par ses dents et son sexe puant »[viii]. Plus loin encore, il conseille de voir « quelle est sa race » pour connaître ses intentions et sa loyauté. Makrisi cite ces mots que l'on trouvait sur son tombeau : « Pourquoi, Ô Kafur, toi qui dirigeait autrefois une armée nombreuse, ton tombeau est ainsi isolé, au milieu d'une terre aride et déserte ! ». La réponse est simple : esclave et noir.
Dans sa description de l'Afrique, Jean-Léon l'Africain parle de la présence des eunuques en tant que gardiens du harem chez le roi de Tlemcen (Algérie) au 16ème siècle. Léon les voit aussi à Fès, en précisant que la très grande majorité des esclaves du roi sont des nègres. Si parmi les esclaves-sexuelles on trouve quelques Espagnoles et Portugaises, la grande majorité des concubines du roi de Fès sont des Africaines à peau noire. Toutes ces femmes sont de toute façon « sous la garde des eunuques, qui sont également des esclaves africains »[ix].
Au Maroc, c'est le témoignage du médecin anglais William Lemprière qui, reçu par le sultan Sidi Muhammad pour soigner son fils d'une infection à l'œil, qui nous apprend que les eunuques sont tous de la même origine :
« Aussitôt que le prince eut décidé que j'entrerais dans la harem de ses femmes, il ordonna qu'on me conduisît avec mon interprète. Le chef des eunuques me reçut à la porte. Il est à observer que les eunuques chargés spécialement de la garde des femmes sont issus d'esclaves nègres. [...] Enfin, ces êtres mutilés offrent tout à la fois une image dégoûtante de faiblesse et de monstruosité. L'autorité qu'on leur donne sur un sexe qu'ils tyrannisent leur fait prendre un air d'importance : ils sont plus fiers et plus insolents qu'on ne saurait l'imaginer [...] Étant accompagné du chef de ces monstre amphibies, je passai la porte du harem dont la garde leur était confiée. Je marchai ensuite assez longtemps sous une voûte obscure qui me conduisit dans la cour autour de laquelle étaient les appartements des femmes. En la traversant, j'aperçus une grande quantité de personne du sexe, et des enfants blancs et noirs. J'appris que dans cette troupe femelle je voyais les concubines du prince, et les esclaves qui les servaient »[x]
La castration de l'esclave avait lieu dans des conditions effroyables et sans hygiène. Au départ, on castrait les enfants esclaves à leur arrivée, dans leur pays de destination. Cette opération était le fait de non-musulmans car les musulmans répugnaient à cette tache qu'ils trouvaient vile. Dans l'Égypte du 19ème siècle, elle était pratiquée par les Coptes de la ville de Tahtah, près d'Assiout, qui payaient une taxe au gouvernement pour avoir le droit d'exercer ce métier. Mais, au fil du temps, les musulmans exigèrent que les eunuques leur soient livrés « prêts à l'emploi » et que l'opération soit réalisée hors des frontières du monde musulman.
L'eunuque africain valait plus cher qu'un simple esclave car il était, non seulement très recherché, mais surtout le taux de mortalité post-opératoire (si l'on peut parler d'une opération consistant à sectionner au rasoir les organes sexuels d'enfants âgés de 8 à 13 ans) était tellement élevé que ce risque se payait cher. Les opérateurs coptes touchaient quatre à cinq talaris selon l'explorateur nantais Frédéric Cailliaud qui suivit Ismail le fils de Mehmet Ali, dans son expédition en Nubie dans les années 1820 :
« Un esclave mâle, qui se vend vingt cinq talaris, taux moyen, en vaut jusqu'à cent lorsqu'il est privé des facultés viriles. On conçoit combien l'appât d'un si gros bénéfice doit encourager à multiplier les victimes de cet attentat contre l'humanité. On assure qu'il se fait à Tahtah, cent à cent cinquante eunuques par an. Il s'en expédie beaucoup pour les harems de l'Asie mineure. En 1812, à l'arrivée d'une grande caravane, le vice roi fit ainsi mutiler deux cents malheureux pour les envoyer au grand seigneur à Constantinople »[xi]
Le vice-roi dont il est question ici n'est autre que Muhammad Ali Pacha d'Égypte, grand ordonnateur de la campagne de chasse aux nègres menée au Soudan. Selon le témoignage de Sir Samuel White Baker, les Égyptiens arrêtaient quelques décennies plus tard deux bateaux remplis d'esclaves entassés les uns sur les autres. Ces bateaux négriers, qui venaient du Soudan, contenaient huit cent cinquante Africains, baignant dans leur urine et leurs excréments, serrés les uns contre les autres comme des anchois. Ils se trouvaient parmi eux des dizaines de morts. Tous les esclaves noirs étaient attachés les uns aux autres par la cheville. Débarqués à Khartoum, ville contrôlée par les Égyptiens, on traina les Soudanais survivants dans les rues de la ville attachés entre eux et attelés à des ânes. Le commanditaire de cette expédition était un Européen mais les autorités égyptiennes, trop contentes de faire main-basse sur un tel bétail humain, décidèrent de le réquisitionner afin d'y prélever toutes les femmes qu'elles distribuèrent à leurs soldats. Mais la peste en avait décidé autrement puisqu'elle s'était propagée dans les cales des deux bateaux avant de se répandre comme une trainée de poudre dans la ville et de faire des centaines de morts parmi tous ceux qui avaient côtoyé ces esclaves nubiennes.
Les eunuques produits pour l'Égypte au 19ème siècle subissaient, eux aussi, une discrimination raciale comme on l'avait déjà remarqué chez les abbassides : « En général, écrit Murray Gordon, quand l'opération était pratiquée sur un Noir, elle impliquait l'amputation complète du scrotum et du pénis pour venir, selon l'expression employée, "au niveau de l'abdomen". On opérait les garçons blancs avec, comparativement, beaucoup plus de précautions. Ils conservaient souvent la possibilité de pratiquer le coït et, assez souvent, prenaient même femmes et concubines »[xii]
Notes:
[i] Frédéric Cailliaud « Voyage à Méroé au fleuve Blanc fait dans les années 1819 à 1822 », pp.115-116
[ii] Malek Chebel op. cit., p 63
[iii] Burckhardt p. 252
[iv] Jacques Heers, op. cit. p. 54
[v] Jean-Paul Roux, « Histoire des Turcs», Éditions Fayard.
[vi] M. Chebel, op. cit., p. 144
[vii] B. Lewis op. cit., p. 93
[viii] Ibid.
[ix] Jean-Léon l'Africain « Description de l'Afrique », Vol. 1, p. 238 cité par M. Chebel p. 236
[x] William Lemprière «Voyage dans l'empire du Maroc et au royaume de Fez » cité par M. Chebel p.77
[xi] Frédéric Cailliaud « Voyage à Méroé au fleuve Blanc fait dans les années 1819 à 1822 », p. 118, 1827.
[xii] M. Gordon op. cit p. 99
* Partie 1 - L'esclavage des Noirs en terre d'islam
* Partie 2 - Le racisme antinoir ordinaire
* Partie 3 - A l'assaut de l'Afrique
* Partie 4 - La traite des Blancs en Europe
* Partie 5 - L'esclavage sexuel
* Partie 6 - Esclaves militaires, chasses aux nègres et razzias
* Partie 7 - Conclusion
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