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DOSSIER: L’Esclavage des Noirs en Terre D'ISLAM - Autopsie d´un Génocide sans précédent?* 1/7

DOSSIER: L’Esclavage des Noirs en Terre D'ISLAM - Autopsie d´un Génocide sans précédent?* 1/7


* Partie 1 - L'esclavage des Noirs en terre d'islam
* Partie 2 - Le racisme antinoir ordinaire
* Partie 3 - A l'assaut de l'Afrique
* Partie 4 - La traite des Blancs en Europe
* Partie 5 - L'esclavage sexuel
* Partie 6 - Esclaves militaires, chasses aux nègres et razzias
* Partie 7 - Conclusion

« Il est en islam un clivage choquant que nul n'ose dénoncer, de peur sans doute de soulever le couvercle qui couvre le puits : celui de la couleur de peau des esclaves. Certes, l'islam rappelle aussi clairement que possible à ses adeptes qu'il n'est fait aucune différence entre un Arabe et un Barbare (A'jami), si ce n'est le degré de foi de chacun. Mais la réalité est plus complexe. Sur le plan des représentations, on doit constater que le regard négatif porté sur le Noir s'est cristallisé depuis l'Antiquité, ce que la tradition arabe, puis la doxa musulmane n'ont fait qu'entériner. [...] Si nombre de musulmans ne voient là qu'une vétille qui ne mérite pas qu'on s'y attarde et la prenne au sérieux, beaucoup d'autres, noirs de peau ceux-là, en souffrent terriblement et commencent à le dire. Ce tabou se dissimule dans les replis d'une fausse certitude selon laquelle, en islam, il n'y aurait ni esclavagisme, ni ostracisme, ni même racisme, hypothèse naïve, à l'évidence, qu'un auteur comme Bernard Lewis dans "Race et couleur en islam" déconstruit avec son habituelle dextérité [...] » -- Malek Chebel


par Kahm Piankhy


Avant propos

Pour prévenir les éventuelles récupérations de cet article à des fins diverses, il convient d'expliquer que ce qui a motivé son écriture. Cet article est né de la volonté de réfuter les mensonges affirmés de manière péremptoire sur la question de l'esclavage des Noirs en terre musulmane pendant plusieurs siècles. Beaucoup de prosélytes musulmans se permettent en effet de réécrire l'Histoire de la traite et de l'esclavage des Noirs en pays d'islam en retranchant cyniquement la vérité historique afin de mieux la remplacer par des mythes. À les entendre, les esclaves noirs étaient bien traités et pas le moindre racisme n'est venu obscurcir ce magnifique tableau. Ça en devient même pathétique de voir le surgissement de ce négationnisme et de voir la masse d'arguties réquisitionnées pour en constituer le socle. Cet article démontrera par conséquent qu'il n'y a pas de quoi fanfaronner vis-à-vis de ce que les Africains déportés ont dû subir en Afrique du nord ou au Moyen-Orient. Et surtout que le racisme, la bêtise et le racisme ordinaires étaient leur lot quotidien bien avant que les Européens ne s'y mettent. Ceux qui défendaient jusqu'ici cette théorie de l'esclavage « jovial et humain » en terre d'islam sans savoir de quoi il retournait, tout comme ceux qui se contentaient de répéter bêtement des inepties inventées de toutes pièces par des théologiens qui confondent leur ego avec la vérité historique, vont vraiment tomber de haut. Mais alors de très très haut.


Introduction

Depuis toujours, on nous a affirmés avec une certaine assurance péremptoire que la traite et l'esclave institués dans les pays arabes étaient différents de ce qui s'était passé aux Amériques. Pour preuve, on démontrait cette différence fondamentale avec un argument imparable : les Arabes réduisaient en esclavage tout le monde, sans distinction de couleur alors que les Européens s'étaient racialement spécialisés sur les Africains. Mais est-ce que cela signifie pour autant que la race n'a joué aucun rôle tout au long de l'histoire dans les pays musulmans dans lesquels une forte population servile existait ?

À l'origine, les Arabes sont uniquement les habitants de la péninsule arabique. C'est grâce à la révélation du Coran qu'ils partent à la conquête, d'abord du Proche-Orient, puis de l'Afrique, de l'Europe et du monde. Lors de ces conquêtes militaires, ils rencontrent d'autres peuples qu'ils soumettent et auxquels ils imposent, très souvent, leur langue. Ces peuples - parfois sémites, parfois pas du tout - sont automatiquement qualifiés à leur tour d'« Arabes » par les Européens à partir du moment où ils parlent la langue des conquérants de la péninsule arabique. D'où la confusion constante entre « Arabes » et « musulmans ». Une exposition sur l'ancienne Nubie à Paris ? Et c'est L'Institut du monde arabe qui l'organise. Or la Nubie légendaire n'a rien à voir avec le monde arabe, ni de près ni de loin. Mais la confusion s'opère du seul fait que les Nubiens contemporains parlent aujourd'hui l'arabe et sont en majorité musulmans. C'est un peu comme si on disait que la civilisation inca était espagnole sous prétexte que les descendants de ces Incas sont devenus chrétiens et parlent de nos jours l'espagnol pour une bonne partie d'entre eux. Les Mésopotamiens (d'Irak) de l'époque de Nabuchodonosor II, par exemple, étaient des Sémites, mais pas des Arabes. À cette époque, les tribus sémites du Moyen-Orient étaient des tribus cousines, parlant une langue voisine, ayant des us et coutumes très proches mais on ne les qualifiait pas encore d'arabes. On ne parlera des peuples sémites d'Irak, de Syrie, du Liban etc. comme étant des « Arabes » que lorsque l'expansion des tribus bédouines d'Arabie, portant le fer au nom de l'islam, les arabiseront en imposant leur langue et leur religion.

Des peuples non-sémites, comme les Kurdes, les Perses (ces deux peuples sont cousins et parlent des langues indo-européennes) et les Berbères d'Afrique du nord s'islamiseront et adopteront la langue arabe, ce qui fera, qu'à leur tour, on les assimilera aux originaires de la péninsule arabique bien qu'ils ne soient pas sémites sur un plan anthropologique. Les Turcs ottomans s'islamiseront eux aussi sans pour autant être assimilés à des « Arabes ». Comme préciser à l'instant, les Arabes, dans le cadre qui nous intéresse ici, sont intimement liés à l'islam puisque c'est en son nom qu'ils partent à la conquête du monde. Lorsque le mot « islam » ne prend pas la capitale, il s'agit explicitement de la religion en tant que telle. Lorsqu'il prend la majuscule, le terme « Islam » désigne l'ensemble des populations musulmanes ainsi que la civilisation et les sociétés islamiques. Les Africains rencontreront donc tous ces peuples durant l'Histoire mais nous nous concentrerons sur la période située entre le 7ème et le 20ème siècle en prêtant une attention toute particulière sur le traitement réservé aux Africains et aux métis d'Africains dans un contexte d'asservissement.


L'esclavage dans les textes

Que disent les textes au sujet de l'esclavage ? En fait, l'esclavage est une pratique millénaire qui existait sur tous les continents. La Bible et le Talmud acceptent l'esclavage, tout comme le Coran. Talmud, Bible et Coran réclament que les esclaves soient bien traités - on imagine, certes, mal lire le contraire. Cependant, aucun d'entre eux ne le condamne fermement, ni ne l'interdit.

Dans le Talmud, pour inciter les juifs à bien traiter leurs esclaves, il leur est rappelé la période où ils furent eux-mêmes « esclaves en Égypte ». Dans le nouveau Testament, les traducteurs ont parfois remplacé le terme « esclave » par le mot « serviteur » pour des raisons « morales ». On lit dans Éphésiens (VI, 6) : « Serviteurs, obéissez à vos maîtres selon la chair, avec crainte et tremblement, dans la simplicité de votre cœur, comme à Christ ». Puis plus bas, le mot « serviteur » disparait soudainement : « sachant que chacun, soit esclave, soit libre, recevra du Seigneur, selon ce qu'il aura fait » (Éphésiens, VI, 8).

On remarque que dans le premier cas, c'est une injonction à servir le maître sans rechigner : les traducteurs ont donc volontairement employé le mot « serviteur » afin de ne pas contredire le message biblique qui prétend libérer l'Homme. Or le terme grec qui est traduit ici est doulos. Dans le deuxième cas, afin de démontrer l'ouverture du christianisme, les traducteurs ont, cette fois, laissé le mot « esclave » car, dans ce contexte, la phrase évoque un aspect positif du Livre qui ne distingue pas les êtres selon leurs conditions. Pourtant, ici aussi c'est le terme grec doulos qui a été employé pour désigner des esclaves. En somme, le terme doulos a été employé dans les deux cas mais selon l'image qu'ils voulaient donner, les traducteurs ont transposé le terme doulos, soit en serviteur, soit en esclave.

Dans l'Arabie préislamique, l'asservissement est, comme dans beaucoup d'endroits du monde, au cœur des sociétés pastorales des bédouins du désert. Le prophète de l'islam se chargera d'« adoucir » l'esclavage en lui donnant un cadre plus « humain ». Il appelle les musulmans à traiter leurs esclaves avec bonté, à bien les nourrir, à partager la nourriture avec eux, à ne pas être démesurément sévères dans les punitions infligées en cas de faute et à les affranchir dans certaines conditions. Tous ces versets existent dans le Coran. Cependant, rien n'est exigé. Ce ne sont pas des sommations mais des recommandations : il n'est, à aucun moment, question d'ériger l'esclavage en interdit absolu. Pourtant, on trouvera des théologiens pour jouer sur les mots et faire passer ce message, en faveur du bon traitement des esclaves, pour un message abolitionniste exigeant l'abrogation de l'esclavage. Or remettre en cause le traitement d'un homme exploité n'est pas la même chose que de dénoncer sa condition servile à telle enseigne qu'un partisan de l'esclavage peut, pour des raisons morales, refuser que des abus soient perpétrés contre des gens en servitude sans pour autant considérer cette servitude comme une aberration morale. Visiblement, certains n'arrivent pas à appréhender cette complexité sémantique et en profitent pour semer la confusion là où elle n'a pas lieu d'être. Extraits du Coran :

« Ceux qui parmi vos esclaves demandent [leur affranchissement] par écrit, donnez-le-leur si vous avez une bonne opinion d'eux et faites leur des largesses avec les biens dont Allah vous a comblé ; [La voie droite], c'est de libérer ceux qui sont captifs »[i]

L'affranchissement est ici conditionné (par la phrase « si vous avez une bonne opinion d'eux ») à un jugement fondé sur le mérite. On retrouvera cette condition dans un autre verset du Coran cité par M. Chebel : « Quant à ceux de vos captifs qui désirent s'affranchir, rédigez en leur faveur un accord qui stipule leur liberté, pour autant qu'ils l'aient méritée » (XXIV, 33). Là aussi, la condition de l'affranchissement est claire : on incite à libérer les esclaves tant que ceux-ci le méritent mais ce n'est pas une injonction. Un autre passage est encore plus en contradiction ave le mythe de l'abolitionnisme contenu dans le Coran : « Dieu a favorisé les uns par rapport aux autres en matière de richesse et de biens. Ceux qui ont été favorisés vont-ils jusqu'à partager leurs biens avec leurs esclaves de sorte qu'ils deviennent leurs égaux ? Douteraient-ils des bienfaits de Dieu ? » (XVI, 73). Ce passage du Coran dit que si Dieu a choisi de faire des inégaux en richesse ce n'est pas pour que les riches aillent ensuite, d'eux-mêmes, partager leurs biens avec les pauvres ou leurs esclaves. Le faire, c'est tout simplement douter de celui qui établit cette hiérarchie de classe. Donc, douter de dieu.

Alors certains s'offusqueront : si l'esclavage est si inhumain, pourquoi ne pas avoir exprimé explicitement son interdiction en faisant de ses partisans des ennemis de l'islam, tout simplement ? Le Coran est rempli d'interdits d'ordre sexuel et alimentaire, pourquoi pas un interdit sur cette question bien précise si elle était si importante ? En fait, pour se distinguer de la traite et de l'esclavage occidental, certains théologiens musulmans ont réécrit l'Histoire en leur faveur afin de faire dire à des versets du Coran ce qu'ils n'ont jamais voulu dire. Là où il n'était question que d'invitation à un affranchissement très souvent conditionné, ils ont traduit cela par un rejet total de l'esclavage. Et dans cette opposition comparative, perpétuelle et concurrentielle avec la traite et l'esclavage des Noirs par l'Occident, on a cherché à établir un « pire » et un « moins pire », tout en faisant de ce « moins pire » un modèle comparé au « pire ». Sauf que ce qui fonde la nature d'une bonne conduite, ce n'est pas son opposition au « pire » mais bien ce qui la constitue intrinsèquement, en tant que telle.

On ne peut par conséquent affirmer sentencieusement que le « Coran prône l'abolition de l'esclavage » que s'il le prône concrètement, effectivement et non pas parce que sa position est « moins pire » que celle des autres Livres. Ainsi, l'affirmation selon laquelle le Coran prône l'abolition de l'esclavage est fausse. Tout simplement fausse. On peut jouer sur les mots, détourner les débats, faire des pirouettes rhétoriques, tout cela n'y changera rien. Les mots ont un sens bien précis. Autre point à préciser : les esclaves dont il est question dans le Coran ne sont pas que des Noirs mais sont constitués de Noirs, de Perses, comme de membres d'autres tribus arabes. Pourtant, là aussi, on a tendance à croire que, dès qu'il est question d'esclaves, il s'agit forcément d'Africains et d'eux seuls. Les premiers esclaves des Arabes sont d'autres Arabes.
« L'abolition, affirme Malek Chebel, n'est pas un système étatique, structuré comme tel, non plus qu'un puissant leitmotiv du Coran. Le Coran n'étant pas contraignant, l'abolition relève de la seule initiative personnelle du maître. Cette ambiguïté est constructive de l'approche coranique : encourager ceux qui font le bien, mais ne pas alourdir la peine de ceux qui ne font rien. Plusieurs versets entérinent au demeurant l'infériorité de l'esclave par rapport à son maître. [...] Il faut rappeler que l'islam des débuts était infiniment plus humaniste, et sans doute aussi plus spirituel, que celui des siècles ultérieurs. L'esclavage y était considéré comme une calamité naturelle dont il fallait prémunir sa famille et la grande famille des croyants - hormis toutefois la servitude de l'ennemi, celle du captif, celle que l'on acquiert par suite d'un achat, d'une guerre, d'une razzia ou d'un troc. Mais la jurisprudence est floue, nuancée, alambiquée. En réalité, deux doctrines tranchées s'affrontent en islam : la première est celle des féodaux qui distordent le sens des versets coraniques pour les rendre plus favorables à leur commerce ; la seconde est celle des abolitionnistes qui prennent prétexte de la loi coranique pour affranchir à bon prix leurs esclaves ou parfois affranchir les esclaves des autres. Car certains ne touchent pas aux leurs, qu'ils appellent tantôt "enfants", tantôt "fils" ou "filles " et qu'ils regardent comme de véritables enfants adoptifs [...] Si l'islam interdit vraiment l'esclavage, pourquoi le Prophète aurait-il "détaxé" la propriété de l'esclave ? C'est ce que nous apprend un théologien comme El-Bokhari (Traditions islamiques, t. I, p. 477), qui dit tenir le propos d'Abû Horaira (VIIème siècle), l'une des sources les plus fiables de la Tradition. Après l'avoir entendu du Prophète en personne, celui-ci aurait dit que "Le Musulman ne doit pas la dîme, ni pour son cheval, ni pour son esclave". Aussi, les grands seigneurs n'hésitaient-ils pas à garnir leurs palais d'esclaves, au même titre que de tapis somptueux ou de marbres les plus chers »[ii]

Le droit musulman (la charia) réglementait les peines infligées aux esclaves reconnus de délits ou de crimes. Pour un esclave reconnu du délit de fornication, le tarif était de 50 coups de fouet alors que pour un Arabe libre il était de 100 coups. Le faux témoignage d'un esclave se voyait puni de 40 coups de fouet alors que celui d'un homme libre l'était de 80. Magnanimité vis-à-vis des esclaves ? Absolument pas. Pour le droit musulman, l'esclave est une sorte d'être irresponsable de ses actes. Il est en dehors de la raison humaine et on lui concède une faiblesse d'esprit telle qu'on ne lui reconnait qu'une semi-responsabilité. Le mépris vis-à-vis des esclaves est tel que, comme le note L. Franck au sujet de l'esclavage en Tunisie en 1810, « tant qu'une négresse est esclave, elle peut aller dans les rues à visage découvert ; mais dès qu'elle est devenue libre, la décence exige qu'elle se couvre d'un voile, comme les femmes mauresques »[iii].

Tout cela pour dire que l'esclavage en tant quel tel ne posait aucun problème sur le plan de sa réalité sociale ni à la population ni aux théologiens de l'islam. Ils ont codifié tout un tas de règles dont le but n'a jamais été d'abolir l'esclavage mais bien de le cadrer afin que cet état, ainsi que le commerce qui en découle, perdure au bénéfice de toute la société et en particulier aux Jellab, un des noms donnés chez les Arabes aux marchands d'esclaves.

Au Caire, au 19ème siècle, les imams couvrent ouvertement le trafic d'esclaves par des fatwas et ils ferment les yeux sur l'ignoble trafic tant qu'ils y trouvent un intérêt. Il se créa effectivement un office spécialement dédié à la question du trafic d'esclaves, constituant une preuve de la reconnaissance morale et religieuse de ce trafic. Il se nommait Service des esclaves auprès de la corporation des esclavagistes (meslahat ar-raqîq bi-wakalat al jallaba). Sa mission était « de surveiller les transactions et les rentrées massives d'argent [et] fut dirigé successivement par Hajj ‘Ali (1826), Ismai'il ben Radi (de 1833 à 1834), Hajj ‘Abd al-Karim ‘Ali (1826) et de nouveau par Isma'il (sic) ben Radi de 1843 à 1852 »[iv]

Malek Chebel précise encore : « de fait, les anciens théologiens décrètent que tel ou tel métier manuel est vil - ainsi ventouseur, sacrificateur, phlébotomiste, tisserand, marchand de linceuls, coiffeur, tanneur, cordonnier, etc. - mais se refusent à inclure parmi eux le commerce d'esclaves. L'explication que l'on peut en donner tient au fait que les souverains eux-mêmes sont esclavagistes. Par conséquent, ils font appel aux services de marchands d'esclaves qui leur fournissent le quota qui les intéresse. Ni l'autorité publique, ni l'instance religieuse n'ont rien trouvé à y redire, les maîtres du pays eux-mêmes se livrent à ce trafic »[v]

Les trois religions sont donc d'accord sur ce point : l'esclavage est partie intégrante des sociétés contemporaines à la naissance de l'islam, du judaïsme et du christianisme. Murray Gordon, professeur de science politique à la City University et auteur du livre L'esclavage dans le monde arabe, voit donc le prophète de l'islam plus comme un « réformiste » qu'un « révolutionnaire ». Il s'étonne d'ailleurs de voir certains penseurs musulmans utiliser cet alibi pour « soutenir que son véritable objectif était l'élimination graduelle de l'esclavage »[vi]. Car, en effet, face à lui, Mohammed avait une société dans laquelle l'esclavage était la norme et, de peur de s'aliéner un maximum d'esclavagistes, il lui était impossible de condamner fermement cette pratique et d'en interdire l'usage alors qu'il était déjà marginalisé par les tribus païennes d'Arabie qu'il désirait ramener à sa foi. Mais bien évidemment, en l'adoucissant, il le légitimait en lui donnant un cadre légal. Ironie de l'histoire : c'est ce désir d'humaniser le statut de l'esclave qui va ensuite servir de prétexte aux musulmans pro-esclavagistes pour justifier le fait qu'ils possèdent des esclaves puisque, selon eux, le Coran ne remettait pas en cause ce droit.

« En autorisant l'esclavage, le Coran ne posait pas les fondations d'une nouvelle institution arabe ; simplement, il donnait sa bénédiction à ce qui constituait un mode de vie très ancien dans cette partie du monde. L'existence de l'esclavage impliquait que, au cours des années, un ensemble de règles normatives s'était instauré entre maîtres et esclaves qui faisait partie du tissu social de la société musulmane. En décrétant la validité de l'esclavage, le Coran accepte une discrimination entre les êtres humains, en accord avec l'ordre des choses divin. Dans cet ordre d'idées, l'esclave devait se résigner à servir son maître. Cependant, le Coran voulut tempérer les rigueurs de cette institution en cherchant un équilibre entre les droits et les obligations du maître et de l'esclave. Si l'esclave avait l'obligation de servir son maître, il jouissait aussi de droits reconnus. Son propriétaire ne pouvait pas les ignorer et était légalement responsable de leur respect. Sur le plan spirituel, l'esclave possédait la même valeur que l'homme libre en ce sens qu'il pouvait espérer les mêmes récompenses éternelles pour son âme dans l'au-delà. Aux yeux de Dieu, il était l'égal de son maître. Sur un plan plus terrestre, le Coran se souciait autant des besoins sociaux et humains de l'esclave que de ses droits légaux. On trouve ici reflétées les vues du droit islamique qui considéraient l'esclave à la fois comme une chose, c'est-à-dire un bien meuble, et comme une personne. [...] Dans la classification des propriétés, le statut de bien mobilier de l'esclave était renforcé qu'il était mis dans la même catégorie des animaux, au sort desquels le sien ressemblait fort »[vii]

Plus les conquérants musulmans s'emparaient de nouvelles terres et plus l'esclavage devint, aux termes de la loi islamique, difficile puisqu'il était interdit d'asservir des personnes musulmanes nées libres au sein de la société, sauf si elles étaient nées de parents esclaves ou si elles avaient été faites prisonnières au cours du jihad. C'est Omar, le deuxième calife de l'islam, qui prononça cette fatwa interdisant aux musulmans d'asservir d'autres musulmans. Le jihad fournit ainsi la plus grande source des esclaves durant les premiers siècles d'expansion de l'islam. Mais une fois les frontières stabilisées, les populations d'esclaves ne pouvaient, à elles seules, satisfaire le besoin d'une main d'œuvre servile toujours plus nécessaire. Ce sera donc l'achat et les razzias au-delà des frontières des terres musulmanes qui vont prendre le dessus. En Espagne, depuis le 10ème siècle, des esclaves « slaves » sont des milliers à être asservis par les Omeyyades - ces derniers prolongeaient le califat des Omeyyades de Syrie qui fut déposé par les Abbassides d'Irak au milieu du 8ème siècle.

Le « Slave » asservi par les Omeyyades est, comme à l'accoutumée dans les pays musulmans, eunuque, « concubine », domestique de maison ou de cour, soldat, chanteuse, danseuse, secrétaire particulier, travailleur manuel, gardien de lieux, etc.

Les Arabes nomment « slaves » (saqâliba) tous les peuples « blancs » d'Europe. De ce fait, lorsque l'on entend parler de « slaves » en réalité ça peut tout aussi bien concerner des Slaves réels que des Ibériques, des Germains, des Grecs, des Caucasiens, des Italiens, des Français etc. Dans cette appellation, aux premiers siècles de l'islam, on y trouvait même les Turcs qu'ils asservissaient par dizaines de milliers en les achetant ou en les razziant en Asie Centrale. Les païens turcs étaient présentés comme de bons esclaves-soldats qui faisaient d'excellents archers. Des Africains viendront aussi combler ce lot de malheureux en constituant peu ou prou les mêmes catégories de servitude.

Au cœur de l'expansion de l'islam il y a donc le jihad - la guerre sainte. Le jihad est un alibi parfait puisque celui-ci permet de partir en guerre au nom de l'expansion de la foi islamique et de soumettre des populations à l'esclavage. Car, dans ces conditions bien précises, les victimes infidèles de ce jihad sont esclavagisables aux yeux de la charia :

« Le jihad» est une pratique typiquement islamique à laquelle on ne peut recourir en toute légalité que dans le but de consolider ou étendre la loi islamique. Toutes les autres formes de guerre (harb) dressant des musulmans contre d'autres musulmans étaient interdites parce que considérées comme brutales, impies et motivées par des intérêts terrestres. Pour les propagandistes, le jihad représentait une autorisation bien pratique de faire la guerre aux infidèles. [...] Des milliers de prisonniers étaient ramenés en territoire musulman et réduits en esclavage par les armées victorieuses de l'islam, qui déferlaient sur l'Asie, l'Afrique du nord et le sud de l'Espagne [...]On dispose d'assez d'éléments pour affirmer que la capture d'esclaves resta un puissant motif de guerre même au cours des grandes campagnes d'expansion militaire et religieuse»[viii]

Au départ, l'esclavage des vaincus n'est supposé être qu'une conséquence du jihad. Mais très vite, le jihad ne deviendra qu'un prétexte pour rapporter des milliers d'esclaves. Il suffira de l'évoquer pour légitimer la capture d'hommes, de femmes et surtout d'enfants dans les territoires des infidèles et il va ainsi servir de prétexte systématique pour razzier des esclaves partout. La présence de cette multitude d'esclaves ne pouvait échapper à la codification. Et le premier code que l'on trouva sur la question des rapports maîtres/esclaves était présent dans la Moudawwana d'Ibn al-Qasim qui a été recensée par l'imam tunisien Abû Saïd Sahnoun - né à Kairouan (Tunisie) en 777. Ibn al-Qasim était un éminent juriste égyptien qui rencontra l'imam Malik ben Anas à Médine. Malik fut le fondateur du malékisme, l'une des premières écoles de l'islam sunnite légiférant sur le droit musulman. Née au 7ème siècle, cette école prédomine aujourd'hui en Afrique du nord et demeure influente en Afrique de l'ouest : un musulman sur cinq s'en réclame. Des érudits comme Ibn Khaldun ou Ibn Battûta se reconnaissaient d'elle. Le malékisme a codifié les rapports entre maîtres et esclaves avec un souci certain. Cette Moudawwana est découpée en plusieurs « livres » dont les principaux articles sont : Livre du négoce en terre ennemie, Livre de la vente à option, Livre de tromperies, Livres de la « propriété sexuelle » (sic) etc.


Le Livre de la guerre sainte traite de tout ce qui touche les captifs :

« Article 8 bis : le dhimmi ne peut pas donner asile à un esclave de musulman en fuite »

Article 8 ter : « selon le baqt, le Nubien qui appréhende un esclave appartenant à un musulman, perdu ou en fuite, devra le rendre sans jamais soulever de protestation ou de difficulté en la matière »

Article 9 : « l'esclave, marchand d'un ennemi, se convertit en terre d'islam : les marchandises lui restent et ne sont pas soumises au partagent (quint, cinquième du butin) »

Article 11 : « L'esclave d'un ennemi s'islamise en terre ennemie puis est acheté par un musulman : il reste esclave »


Le Livre de la vente à option :

Article 21 : « On échange un esclave contre un autre avec option durant laquelle il meurt. Question analogue pour une bête de somme, mais dont on a déjà versé le prix. L'option passe aux héritiers de qui en est titulaire »

Article 27 : « La revente à bénéfice d'une esclave déflorée avec qui ont a coïté. Cas où elle était vierge. Cela peut en diminuer le prix »


Le Livre de la propriété sexuelle :

Article 58 : « Les "parties honteuses" de l'esclave femelle appartiennent de droit à son maître. Il en va ainsi de son ventre (ses enfants) »

Article 59 : « L'esclave ne peut se marier sans l'accord de son maître, mais ce dernier peut l'y obliger »

Article 60 : « L'esclave ne peut épouser que deux femmes (contre quatre pour l'homme libre)

Article 61 : « L'esclave n'a pas le droit de prendre d'«esclaves-concubines » (al-tassarri)

Article 66 : « L'enfant de l'esclave revient à son maître, sauf si ce dernier ne le reconnaît pas. »[ix]


Ces quelques articles (en tout il y en a 68) démontrent parfaitement un désir, non pas de faire de l'affranchissement une règle, comme le conseille le Coran, mais bien de l'inscrire dans des règles, elles-mêmes adaptées à la loi islamique. En définissant ce qui était autorisé et ce qui était interdit, en validant et en invalidant telle opération de vente ou d'achat, c'est bel et bien un entérinement de l'esclavage qui est signé et non une rupture ou une culture de l'affranchissement. Le sunnisme, courant principal de l'islam, compte 4 écoles : le hanafisme, le malékisme, le chafiisme et le hanbalisme - qui donnera le wahhabisme saoudien après une reprise en main musclée d'al-Wahab au 18ème siècle qui exigeait un retour à l'islam des origines. Le Hanafisme réglementera lui aussi les droits des esclaves en traitant, sur plusieurs chapitres, tous les cas d'affranchissement, de fuites d'esclaves, des droits du maître sur son esclave etc. Tout est pensé et réglementé avec un souci du détail relevant de la précision suisse.


[ Le roi Ibn Saoud, fondateur de la dynastie des Saoud ]

Malek Chebel cite un troisième code qui, dès le premier article, laisse pantois : « La loi permet la vente de nègres réduits à l'état d'esclavage, parce qu'en général ils sont infidèles. Toutefois, elle s'oppose à la vente de ceux de ces individus qui proviennent des peuples musulmans ou des populations amies de ces derniers ». La source n'est pas précisée car l'origine est incertaine. On sait juste que ce code provient d'Afrique, de peuples sans doute à la lisière entre monde maghrébin et monde négro-africain. Malek Chebel évoque une possible origine haoussa mais on a du mal à imaginer que des Noirs promulguent un code dans lequel ils désigneraient les « nègres » comme pouvant être asservis à cause de leur kufr (incroyance). Quoique, ça ne m'étonnerait pas plus que ça vu le niveau d'aliénation et le complexe d'infériorité que certains Africains musulmans faisaient par rapport aux musulmans blancs devant lesquels ils se courbaient comme s'ils faisaient face à des êtres supérieurs en tout point. Le dévouement de certains est assez consternant : En 1953, l'ambassadeur de France en Arabie Saoudite qui dénonça, grâce à la lecture d'une lettre à l'Assemblée nationale, les réseaux de traite d'esclaves institués par les Saoudiens de Djedda et de la Mecque. Ces négriers modernes ne pouvant plus razzier des Africains, tentaient de les attirer par la ruse en envoyant...des émissaires Saoudiens d'origine africaine afin de tenter de duper les « nègres naïfs » à qui ils promettaient de payer le voyage du pèlerinage à la Mecque. Arrivés sur place, on confisquait le passeport des Burkinabais, Maliens et autres Soudanais roulés par leurs semblables avant de les distribuer aux richissimes Arabes qui les avaient commandés.


*Titre: Bois-Caiman-Redaktion, une traduction allemande s´en suivra.

Il y a une chose que nous nous devons de préciser, contrairement à ce qu´affirme Kham Piankhy, "En fait, l'esclavage est une pratique millénaire qui existait sur tous les continents." L´esclavage en tant que tel - la CHOSIFICATION de être humain comme nous la connaissons dans le berceau culturel eurasiatique - n´a jamais existé en Afrique, chez les peuples noirs. Contrairement aux fantasmes de la bible, Kmt(Egypte Antique) n´a jamais pratiqué l´esclavage. Nous lancons un défi à quiconque de nous prouver le contraire par une documentation historique rigoureuse. Cela ne cadre pas avec le concept de société et de lêtre humain dans les civilisations noires. Il y a eu certe des reralations de "dépendance", mais pas l´Esclavage. Nous citerons ici entre autres l´Egyptologue Bernadette Menu: "Dans la conscience collective, les mots „esclavage“ et „Egypte“ sont bien souvant associés à l´évocation d´images hollywoodiennes suscitées par les travaux gigantesques induits de constructions qui, aujourd´hui encore, defient le genie civil. En raison de la trop grande distance chronologique et culturelle qui les séparait de leur objet, les sources classiques et bibliques – qui ont été pendant de nombreux siècles les seules références à la disposition de l´Occident – avait déjà forgé de l´Égypte pharaonique une représentation decalée de la réalité de la documentation Egyptienne[...] Celle-ci n´étant devenue accessible que depuis la découverte de J.-F. Champollion en 1822. La plupart des auteurs modernes qui – selon des motivations et de critères idéologiques très différents – se sont penchés sur les institutions de l´Egypte pharonique, ont admis d´emblée comme un postulat l´existence de l´esclavage. Or, les niveaux de dependance, ou plutôt de ‚revelance‘ s´avèrent extrêmement nombreux et diversifiés[...]Rien ne permet de déceler, dans l´Egypte pharaonique, la moindre trace d´un esclavage[...]"(S.337) in: Bernadette Menu (u.a. ‚Egypte Pharaonique – Nouvelles Recherches sur l´Histoire Juridique, Economique et Sociale de l´ancienne Egypte, L´Harmattan, 2004 ‘ ) Chapitre 22 – La question de l´esclavage dans l´egypte pharaonique, pp. 337-359

Bois-Caiman-Redaktion, 02 .05. 2010


Notes:

[i] Coran (XXIV, 33) et (XC, 13). Cité par Malek Chebel « L'esclavage en terre d'Islam », p. 18

[ii] M. Chebel, op. cit., pp. 18, 20 et p. 43

[iii] Cité par M. Chebel p. 66

[iv] M. Chebel p. 167

[v] M. Chebel, op. cit., p. 34

[vi] Murray Gordon « L'esclavage dans le monde arabe », p. 25

[vii] Murray Gordon op. cit, p. 40-41

[viii] Murray Gordon, op. cit., p. 30-31-32

[ix] Cité par Malek Chebel, op. cit., p. 339 à 346



* Partie 1 - L'esclavage des Noirs en terre d'islam
* Partie 2 - Le racisme antinoir ordinaire
* Partie 3 - A l'assaut de l'Afrique
* Partie 4 - La traite des Blancs en Europe
* Partie 5 - L'esclavage sexuel
* Partie 6 - Esclaves militaires, chasses aux nègres et razzias
* Partie 7 - Conclusion