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DOSSIER: L’Esclavage des Noirs en Terre D'ISLAM - Autopsie d´un Génocide sans précédent?* 6/7

DOSSIER: L’Esclavage des Noirs en Terre D'ISLAM - Autopsie d´un Génocide sans précédent?* 6/7


6. Esclaves militaires, chasses aux nègres et razzias

par Kham Piankhy

L'utilisation des esclaves pour en faire des soldats et des gardes au service des souverains musulmans était très répandue. Les souverains musulmans se sont toujours appuyés sur la loyauté des esclaves-soldats achetés pour leur aptitude au combat. Dès le 9ème siècle, l'armée d'Ahmad ibn Tulun (dynastie des Tulunides) est composée de 40 000 Nubiens contre 24 000 Turcs. Les 7 000 soldats libres étaient souvent arabes. Des centaines d'autres esclaves noirs travaillaient déjà à cette époque dans l'agriculture de ce gouverneur d'Égypte qui refusait l'autorité du califat. Lorsque le calife de Bagdad envoya une expédition afin de rétablir l'ordre, la garde noire des Tulunides fut massacrée. Au 8ème siècle, les Omeyyades de Cordoue comptaient 30 000 soldats sous leur coupe tandis que les Abbassides en comptaient 300 000. Dès les premières utilisations des esclaves-soldats dans leurs armées, les musulmans font la distinction entre les soldats de type « blanc » et de type « africain ». Les soldats blancs sont appelés mameluks tandis que les noirs prennent le nom d'abid ou abd. Ce terme Abid finira par devenir un synonyme de noir pour désigner les Négro-africains. Les Noirs sont réputés plus dociles et soumis que les Blancs à tel point que de très fraiche date c'est eux qui constituent le gros des troupes des esclaves-soldats des armées musulmanes.

Les Fatimides qui prirent le contrôle de l'Égypte en 969, s'étaient appuyés sur des troupes d'esclaves-soldats berbères, turcs mais surtout africains. Dans ce melting-pot, les abid avaient un régiment dédié et les armées étaient fondées, là aussi, sur une base raciale : les soldats blancs berbères et turcs, ensemble ; puis les Africains à part. Ce régiment spécial de nègres s'appelait abid al-shira (les esclaves achetés) et était composé d'Africains originaires du Soudan central vendus par des nomades berbères qui dominaient le trafic négrier de la zone sahélienne. Les divers souverains fatimides jouèrent prestement de l'utilisation des abid pour contrer l'appétit de pouvoir des mameluks. La société égyptienne méprisait ces soldats noirs autant qu'elle les craignait. Déjà, à cette époque, des tensions raciales existaient entre les esclaves noirs et les esclaves blancs. Elles vont empirer sous al-Hakim (996-1020) puis sous al-Mustansir (1035-1094). Des séries d'affrontements armés vont opposer, tout au long de la dynastie fatimide d'Égypte, les esclaves blancs (turcs et berbères) aux esclaves africains. Les Abid finiront par être chassés du Caire après la défaite de 1062, avant de tenter une nouvelle percée en 1076.

La dynastie fatimide sera renversée par le Kurde Saladin (Salah Al-Din al Ayyoûbi), fondateur de la dynastie Ayyoubides. Saladin décapita le chef des eunuques noirs, incorporera dans sa propre armée tous les anciens mameluks des Fatimides mais refusa les Africains. Le Kurde fera d'ailleurs piller et brûler les quartiers réservés aux Noirs en liquidant femmes et enfants des abid. Makrisi chroniqua cette guerre raciale comme étant une punition divine que dieu infligea aux Noirs « pour leurs péchés ».

Le califat des Mameluks d'Égypte (1250-1517) a été fondé par d'anciens esclaves militaires « slaves » affranchis - Turcs, Circassiens et des Géorgiens - issus de la dynastie des Ayyoubides. C'est un des nombreux exemples où un pouvoir autocrate s'appuya sur une milice impitoyable qui finit par renverser ses supérieurs pour gouverner à son propre compte. Cette dynastie d'esclaves blancs affranchis se divise en deux parties. Une première partie de cette dynastie régna de 1250 à 1382 et était dominée par des Turcs. Ce n'est qu'à partir de 1382 que les Mameluks originaires du Caucase (des Géorgiens et des Circassiens) vont dominer l'Égypte jusqu'en 1517. Au sein de la dynastie des Mameluks, ce n'est que coups tordus, intrigues, affrontements armés entre les diverses factions tentant chacune d'imposer leur chef. Vers la fin du 15ème siècle, le sultan en place tenta un coup de poker pour mettre fin au « cannibalisme » auquel ses soldats se prêtaient : pour remettre de l'ordre au sein de ses troupes, il joua de l'inimitié naturelle existant entre les soldats blancs et les soldats noirs pour tenter d'imposer un dénommé Farajallah. Les esclaves noirs étaient considérés comme des esclaves bas de gamme en Égypte, le haut de gamme étant occupé par les mameluks blancs. Autant dire que lorsque l'abid Farajallah fut mis sur un piédestal, qu'on l'habilla de la tenue des mameluks et qu'on lui fit cadeau d'une esclave circassienne qu'il épousa, le sang des soldats mameluks ne fit qu'un tour. Le racisme des Géorgiens et des Circassiens explosa au grand jour et ils vengèrent l'offense en attaquant les Noirs. Farajallah fut tué ainsi qu'une cinquantaines d'abid. Ici, non seulement le racisme anti-noir a été transmis mais, fait très souvent constaté, les anciens esclaves reproduisaient purement et simplement la conception sociale maîtres/esclaves qui leur avait été enseignée. Les Mameluks caucasiens réduisaient ainsi en esclavage d'autres Caucasiens païens et les traitaient de la même manière que les Arabes les avaient eux-mêmes traités avant qu'ils ne se convertissement à l'islam. Les Mameluks d'Égypte seront renversés par les Ottomans mais subsisteront dans l'administration et l'armée pendant près de 300 ans avant que Mehmet Ali fasse égorger plusieurs centaines de leurs chefs en 1811.

Au 10ème siècle, le kitab al-Ajaib al Hind, expliquait comment les Arabes venus d'Oman raflaient les enfants de la côte des Zanj au cours des premiers années de leur présence : « (...) ils volent les enfants en les attirant avec des fruits. Ils les transportent d'un endroit à un autre pour finalement en prendre possession et les ramener dans leur propre pays »[i]

L'exploitation de la côte des Zanj - les Arabes appelaient déjà le nord de la côte des Somalis, « Ras assir », c'est-à-dire le « Cap des esclaves » - confortera puis intensifiera la traite. D'aucun insisteront volontiers sur le métissage dû à la fusion entre les Arabes et les Bantous tout au long de la côte et en concluront à la noblesse des rapports. En fait, les Arabes s'installèrent pour des raisons purement commerciales, imposèrent l'islam et prirent pour épouses des femmes bantoues/swahilies. Mais rien de tout cela ne les empêchaient de traiter les Zanj avec mépris. Ils s'installaient en maîtres et imposaient une hiérarchie sociale strictement fondée sur un mélange d'islamo-racialisme : en haut, les Arabes, ensuite les métis d'arabes, ensuite les Noirs musulmans puis les Noirs non-musulmans. Il était par exemple impensable à un Zanj musulman d'épouser une Arabe alors que l'inverse était possible. Même les « métis » (qui se prenaient pour des Arabes) vomissaient les Zanj et préféraient voir leurs filles rester célibataires à vie plutôt que de la donner à un Zanj même musulman. Aux Antilles, on appelle cela « refuser de retomber dans le goudron une fois qu'on en est sorti ». Même les enfants métis des Arabes et des femmes bantoues prenaient des noms arabes, étaient convertis à l'islam et participaient activement à la traite des Zanj. Les Portugais sont d'ailleurs étonnés lorsqu'ils voient des Maures noirs comme du goudron. Mais ceux-ci leur explique qu'ils sont arabes et pas africains. Tout comme on l'a vu en Martinique et en Guadeloupe, les castes de métis, étant devenues esclavagistes, cherchaient à se distinguer en tout point des nègres pour mieux se rapprocher des maîtres, de leur couleur, de leur culture, de leur religion. À ce stade, on ne s'étonne guère lorsqu'El-Drisi explique comment les Zanj, à la vue du moindre Arabe, « s'inclinent devant lui et le traitent avec grand respect » comme si c'était un être supérieur.

Regardez cet extrait de reportage sur la situation des Swahilis au temps de la traite arabe : ici


[ Le sultan de Zanzibar Khalifa ibn Kharub ]

Au 19ème siècle, les Arabes d'Oman installés à Zanzibar, étaient des adeptes de la « tactique consistant à visiter une région, y semer la discorde entre les différents chefs, et ensuite attendre que le vainqueur leur livre ses captifs comme esclaves »[ii]. Ils introduisent des armes à feu qu'ils échangent contre les esclaves et de l'ivoire en favorisant tels clans par rapport à un autre. À ce point, les guerres ne justifient plus la mise en esclavage de prisonniers comme ce fut traditionnellement le cas en Afrique, c'est désormais la recherche d'esclaves dans les ethnies voisines qui justifie toutes les guerres. Très peu nombreux, les Omanais ne s'imposent par la force que lorsqu'ils le peuvent. Quand ils ont face à eux un État structuré, ils discutent commerce. Lorsque ce n'est pas le cas, ils s'installent à l'intérieur des terres et pratiquent la chasse à l'homme. À cette époque, les armes à feu dont ils disposent sont largement suffisantes, malgré leur petit nombre, pour soumettre quelques tribus de l'est africain. À l'est du Congo, la région de Manyema, fut l'une de ces régions dont les Arabes de Zanzibar prirent le contrôle en installant des pseudo-principautés dirigées par des marchands d'esclaves. L'un d'eux n'est autre que le célèbre et richissime négrier Tippu Tip (Tippou Tip).


[ Tippu Tip ]

De son vrai nom Hamed ben Mohamed al-Murjebi, Tippu Tip régna pendant 10 ans sur une sorte d'empire commercial d'une région du Congo qu'il vida de sa population à grands coups de razzias. Malek Chebel nous rappelle que Tippu Tip est un Zanzibarite issu « d'un milieu de grands notables de Mascate », la capitale du sultanat d'Oman. Contrairement aux Arabes de Zanzibar, Tippu Tipp a un physique très « africain ». En fait, c'est un des nombreux rejetons métis des Omanais qui prenaient pour épouses et/ou concubines des femmes zanj puis élevaient leurs enfants métis (quand ils les reconnaissaient, car ce n'était pas toujours le cas) comme des Arabes. Toujours est-il que Tippu Tip appartient à la classe dominante arabe de Zanzibar. Le mode opératoire de ses razzias est simple : armés, lui et ses hommes débarquent dans des régions du Congo et s'imposent par la force. Ils établissent un camp fortifié à partir duquel il lance des razzias sur les peuplades voisines. On estime qu'entre 1800 et 1870, de 6 000 à 12 000 Africains arrivent annuellement à Zanzibar dont une portion était ensuite réexpédiée vers l'Arabie, la Perse, les sultanats musulmans d'Inde, voire, la Chine.

En 1820, Muhammad Ali (Mehmet Ali, en turc), un Albanais musulman qui gouverna l'Égypte au nom des Ottomans, inaugura une toute nouvelle politique de terreur : la chasse aux nègres. Cette fois il ne s'agissait plus de petites attaques ciblées pour rafler des esclaves parmi les populations du sud mais d'une véritable campagne étalée sur deux ans. Les principales victimes de cette folie furent les Soudanais de Nubie et du Darfour. Des zones entières du sud de l'Égypte ont servi de mine à esclaves pour les Égypto-turcs durant cette période où ils ont vidé le Soudan des habitants qui le peuplaient. Le but d'Ismail, fils de Muhammad Ali, était de capturer un maximum d'esclaves afin qu'ils puissent rejoindre les marchés du Caire mais surtout l'armée des Ottomans d'Égypte. Muhammad Ali désirait en effet une armée noire (qu'il nomma plus tard la jihadiyya) composée de 20 000 Nubiens dévoués à sa seule personne. Ce fut un véritable massacre. On y exécutait allégrement tous ceux qui résistaient à l'assaut et l'on finit par capturer près de 30 000 esclaves sur toute la campagne. Une grande partie de ces esclaves, comme on le constate souvent lors des razzias, sont très jeunes et très souvent des fillettes. Beaucoup mourront en route d'épuisement, de maladie et de blessure dans leur longue traversée du désert à pied qui durait plusieurs semaines.


[ Mehmet Ali Pacha ]

Muhammad Ali, pacha du Caire et vice-roi d'Égypte, ne faisait aucun mystère de ses buts. Voici le message qu'il envoya à ses hommes lors de cette campagne sanguinaire : « Vous savez que le but de tous mes efforts et de cette dépense est de me procurer des nègres. Je compte sur vous pour réaliser mes désirs avec le zèle qu'il convient dans cette affaire capitale »[iii]. Nous voyons là clairement que les cibles des razzias ne sont absolument pas des kouffar mais bien des nègres. Le nègre, l'aswad (pluriel : Sudan), le Zanj sont tous des esclaves de fait.

L'explorateur français Frédéric Cailliaud a suivi les Égyptiens durant la campagne du Soudan et la raconta avec beaucoup de détails dans un livre. Il n'est question que de vols, de meurtres, de pillages, d'incendies, d'asservissement, d'expéditions isolées pour faire des rafles et amener le bétail humain et animal vers le camp des soldats. Comment procèdent les Égyptiens ? Ils posent leur camp et raflent les villages alentours en envoyant des petites unités de combattants bédouins et turcs possédants des armes à feu. Quand la zone est nettoyée, ils déplacent leur camp et poursuivent leur sale besogne ailleurs. Frédéric Cailliaud raconte :

« Haggi Hammed avait été chargé de la conduite d'une expédition. Il revint le soir avec cinquante prisonniers, quelques bestiaux et une bonne provision de dourah. Il y avait parmi ces prisonniers des femmes de tout âge : ils étaient tous attachés à la queue des chevaux et traînés dans la poussière ; ces malheureux dévorés par la soif poussaient des cris lamentables et demandaient de l'eau. »[iv]

Ismail fit appeler le chef de tribu qu'il venait de faire razzier : « [il] le questionna devant moi sur les lieux où les habitants du pays allaient chercher l'or, la quantité et la grosseur des morceaux qu'ils en recueillaient. Pour qu'il ne lui prît pas envie de dissimuler, il le prévint que s'il ne disait pas la vérité il lui ferait sans rémission trancher la tête dès qu'il aurait acquis la preuve de son imposture. Cet homme tout tremblant ramassa à terre des graviers de la grosseur d'un haricot [...]. Le 23 janvier, le chef nègre nous conduisit sur un autre point du torrent d'Abqoulgui. D'après mon conseil, le pacha fit conduire avec nous quelques autres nègres afin de voir de quelle manière ils s'y prenaient pour le lavage des sables. Nous passâmes là les trois quarts de la journée en recherches et elles ne furent pas plus fructueuses que les précédentes ; mais je ne vis pas sans beaucoup d'intérêt l'intelligence que nos nègres mettaient dans leurs opérations et la dextérité avec laquelle ils maniaient leurs sébiles ou creusaient des puits en se servant de simples pieux de bois : le fer, trop rare et trop cher chez eux, n'était employé que pour des outils à fendre objets de parure tels que bagues et bracelets. Le 24, le chef nègre proposa de nous mener dans un autre lieu plus éloigné d'où les indigènes retiraient aussi de l'or. Le pacha y consentit ; mais il résolut de faire d'une pierre deux coups, c'est-à-dire de profiter de l'occasion pour tenter de prendre encore quelques nègres. En conséquence, il prit avec lui quatre cents hommes de cavalerie, les seuls qui fussent encore propres à faire un bon service et nous nous dirigeâmes dans le nord est. Les prisonniers qui devaient nous suivre dans nos recherches avaient le cou emboité dans des fourches de bois, dont l'extrémité était tenue par des Turcs à cheval. Ces malheureux, meurtris par les secousses que leur donnaient leurs farouches conducteurs, auraient préféré la mort à ce traitement cruel : dans leur désespoir, ils se jetaient par terre et, s'obstinant à ne plus marcher, demandaient comme une faveur qu'on leur ôtât la vie. Mais leurs bourreaux, loin d'éprouver quelque émotion, les frappaient à coups de plat de sabre jusqu'à ce qu'ils se remissent sur pied »[v]

À Dinka, l'expédition fera 600 prisonniers. À Singué - les habitants du pays ne sont pas seulement musulmans, ils sont arabisés -, les habitants ont fui leur village pour se réfugier dans les montagnes. Les cinq cent hommes de l'infanterie se lancèrent à leur poursuite sans pouvoir les capturer. Les Égyptiens revenaient presque bredouille puisqu'ils ne capturèrent que 15 hommes et en perdirent 6 de leurs côtés. Le lendemain, trois cent Turcs de la cavalerie organisèrent une nouvelle chasse contre les habitants de Singué perchés sur les montagnes de Fâlogun. Ils en tuèrent cinquante pour dix prisonniers. Partout où les Égyptiens passent, on pille, on brûle et on tue. Dans un village d'A'qâdy, une razzia permit d'obtenir 170 esclaves dont une bonne partie de femmes qui seront immédiatement alignées et à qui l'on mettra une fourche au cou pour les faire défiler devant Ismail. Ismail fit libérer les vieilles femmes et embarqua les jeunes pendant que ces soldats turcs mirent le feu aux habitations. Les soldats turcs semblaient encore plus fanatisés que les soldats arabes. Ce plaisir de tuer juste pour tuer frappait Cailliaud. Qui était décontenancé devant la violence gratuite de ces fanatiques. On les vit, tels des illuminés, demander avec insistance à leur commandement d'aller piller un village africain peuplé de païens qu'ils avaient au départ pris pour des musulmans. Quand l'ordre fut donné, 300 soldats turcs se jetèrent sur le village : « rien n'échappa au penchant destructeur et à la rapacité de ces barbares ; les animaux qu'ils ne pouvaient emmener, ils les tuaient ; les porcs surtout, qu'ils ont en horreur, étaient impitoyablement massacrés »[vi]

« Travailler plus pour gagner plus ! ». Le « pacha, note Cailliaud, avait promis une piastre d'Espagne par chaque esclave [que ces soldats] lui amèneraient ». Mais les locaux ne se laissaient pas faire. Un colonel albanais sera décapité et émasculé, d'autres soldats arabes s'étant trop éloigné de leur camp seront eux aussi privés de leur vie et de leur « service trois pièces » puis lardés de coups de couteau avant d'être placés en plein milieu des chemins utilisés par les troupes égyptiennes. Les villageois du Soudan pratiquaient la guérilla en s'appuyant sur le milieu naturel montagneux qu'ils connaissaient par cœur. C'était le seul moyen pour eux de rivaliser avec les armes à feux des envahisseurs. Ils harcelaient sans cesse les hommes d'Ismail en leur faisant subir quelques pertes par-ci, par-là. Pour l'explorateur nantais, la « chasse au nègre (sic) tenait infiniment au cœur »[vii] d'Ismail. Il ne fait aucun doute dans l'esprit de Cailliaud que c'est bien à une chasse aux Noirs qu'il est en train d'assister dans cette Nubie montagneuse. Ismail n'hésitait d'ailleurs pas à prendre son fusil pour participer lui-même aux razzias quand ces soldats turcs ou arabes ne se montraient pas assez efficaces dans leurs missions.

Dans le Sennar, cette région soudanaise située au sud-est de Khartoum et peuplée...de musulmans, Ismail attendait un ravitaillement pour ses troupes mais les ravitailleurs furent attaqués et trucidés par les locaux qui connaissaient parfaitement les intentions d'Ismail : « la bravoure des Osmanlis et le clinquant de leurs armes, précise encore Cailliaud, n'inspiraient plus autant de crainte [aux nègres] ; ils avaient même remarqué que le canon faisait plus de bruit qu'il ne causait de ravage parmi eux. Leurs villages, leurs récoltes, devenant chaque jour sous leurs yeux la proie des flammes, leurs champs dévastés, leurs femmes, leurs enfants, enlevés avec violence et réduits en esclavage, tout se réunissait pour pousser ces hommes au désespoir et les exciter à venger tant d'outrages dans le sang de leurs iniques oppresseurs »[viii]

Ismail mourra suite à l'incendie qu'alluma Mek Nimr, un chef de tribu nubien qui se vengeait ainsi des meurtres, razzias et autres crimes commis par les Ottomans d'Égypte. Ce n'est que sous la pression des abolitionnistes européens que Muhammad Ali émit un décret interdisant la traite. Ce décret était vain car la mise en esclavage des Nubiens continuait sous une autre forme : il ordonna le paiement d'un impôt au gouverneur des régions du sud et cet impôt devait être payé...en esclaves.

On trouvera des abid en Inde où leur présence fut très forte notamment au cours du 13ème siècle - et aussi des siècles précédents. Le roi Barbuk du Bengale (1459-1474) possédait 8 000 Zanj dans son armée et deux royaumes seront gouvernés par d'anciens soldats-esclaves africains.

Vers la fin du 17ème siècle, la dynastie marocaine des Alaouites - celle qui règne encore au Maroc de nos jours - misa sur l'enrôlement d'esclaves-soldats africains qu'elle acheta en masse sous le sultan Moulay Ismail. Les soldats-esclaves ne constituaient plus une simple « garde noire » mais une armée complète. Qui sont ces esclaves ? Des habitants enrôlés de force, originaires des territoires d'Afrique noire conquis par les Marocains depuis 1591. On remarquera que Moulay Ismail voulant des soldats, ne réduisit pas en esclavage des populations blanches de son vaste empire. Il fait un choix racial et se dirige naturellement vers les territoires conquis au Soudan occidental. On trouvera aussi dans cette armée des Négro-africains purement razziés et achetés à des marchands musulmans noirs. Parmi ceux-ci, les Peuls sont les plus actifs dans la zone nigérienne et fournissent, comme d'autres marchands d'esclaves travaillant sur commandes, leurs coreligionnaires du nord en bois d'ébène.


[ Ismael ]

Tous les abid de Moulay Ismail sont pourtant musulmans de naissance et nés libres. Mais cela ne pose aucun problème puisqu'ils sont noirs. Cette troupe prendra le nom d'Abid el-bokhari « (...) parce qu'ils avaient prêtés serment sur le recueil des traditions islamiques réuni par ce grand érudit de l'islam : le théologien el-Bokhari (810-870) est en effet l'auteur du plus important recueil sunnite des dits du Prophète (hadiths) : intitulé "Sahi" (L'authentique) »[ix]

Aux esclaves-soldats hommes, le sultan marocain offrit de jeunes esclaves africaines afin que ceux-ci constituent leur famille et puissent ainsi pérenniser ce cheptel d'esclaves qu'il aura à sa disposition. C'est tout simplement un élevage d'humain qui ne dit pas son nom car les couples sont invités à avoir une famille nombreuse afin que les enfants mâles puissent très rapidement atteindre l'âge de 10 ans. Dès cet âge, les jeunes garçons subissent un endoctrinement religieux et un entrainement militaire de 5 à 6 ans qui en fera des soldats aptes au combat et prêts à mourir pour défendre leur maitre.

Le sultan alaouite réussit ainsi à bâtir une puissante armée exclusivement composée d'esclaves-soldats nègres. Il bâtit même une ville afin de les loger. Les abid étaient très mal vus de la population et ils effrayaient en même temps. Il leur était par exemple interdit de posséder la moindre parcelle de terre :

« Les considérations raciales jouaient également un rôle important dans la nomination aux postes de commandement, des armées d'esclaves qu'entretenaient les Arabes. Les postes les plus intéressants, les plus prestigieux aussi, étaient réservés aux mamluks, tandis que les abid devaient se contenter de servir comme fantassins de base ou comme domestiques chargés des basses besognes dans l'intendance. Ce favoritisme disparut avec le temps, mais seulement parce que l'esclavage lui-même était devenu une institution presque exclusivement noire. Cependant, il faut le souligner, tant qu'il y eut assez d'esclaves blancs, les esclaves noirs souffrirent d'un préjugé racial

L'attitude négative des Arabes à l'égard des Noirs trouvait ses origines dans un sentiment de supériorité culturelle et dans les préjugés raciaux. Quoique l'islam, en tant que religion, soit remarquablement dépourvu de connotations racistes, les arabes - comme bien d'autres peuples - n'ont pas échappé à cette forme d'a priori. Ils étaient nombreux à considérer la race noire comme inférieure, point de vue exprimé dans les écrits de bien des écrivains et des savants arabes. [...] Ceux qui nourrissaient de tels sentiments pour des gens du Sud les estimaient primitifs et ignorants, peu fiables et dépourvus des qualités humaines. Quelques auteurs s'étendent sur les caractéristiques physiques des Noirs, se plaignant de leur chevelure laineuse, de leur odeur, de leurs traits grossiers et de leur manque de sang-froid. [...] l'asservissement et la conversion à l'islam étaient une délivrance grâce à laquelle ils passaient d'une existence misérable à une haute civilisation »[x]

À la mort du sultan Moulay Ismail en 1727, des tensions raciales éclateront entre les Blancs et Noirs qui se termineront par une guerre civile. Le Maroc subira une trentaine d'années de troubles et d'anarchie avant qu'un nouveau sultan n'apparaisse. Il faut dire que les Abid constituaient une armée de 150 000 hommes et que leur puissance était telle que durant cette période d'instabilité, ils s'amusèrent à faire et défaire les sultans selon leur bon gré. En 1757, Sidi Muhammad III est le nouveau sultan du Maroc. Il décida d'en finir une bonne fois pour toutes avec les « troupes noires ». Pour ce faire, il fallait se débarrasser des abid trop encombrants. Sidi Muhammad invita donc les esclaves noirs accompagnés de leurs biens et de leur famille à rejoindre la ville de Larache au prétexte d'une promotion qu'il comptait leur attribuer pour leur loyauté et les bons services rendus au Maroc. C'était un guet-apens. Arrivés sur place, les abid sont encerclés par les soldats arabes puis désarmés. Sidi Muhammad s'adressa à ses hommes : « Je vous fais présent de ces abid, de leurs enfants, de leurs chevaux, de leurs armes et de tout ce qu'ils possèdent. Partagez-les entre vous ». C'est ainsi que l'armée noire de Moulay Ismail fut totalement désintégrée. Des « gardes noires » existeront plus tard dans le Maroc mais jamais dans les proportions connues sous Moulay Ismail.

Dans un contexte normal, Sidi Muhammad aurait dû libérer les esclaves pour les rendre à la vie civile. Mais c'est sans compter les préjugés de race existant à cette époque au Maroc. Pour le Marocain moyen, un Noir n'est qu'un esclave, musulman ou non. La vente de nègres au sûq al-‘abidîne (le marché aux esclaves) fait partie intégrante de la vie sociale des habitants de Fès ou de Marrakech. On vit par exemple à la fin du 19ème siècle, près de 500 esclaves venant de Tombouctou vendus dans les marchés aux esclaves de Marrakech. La moitié de ces malheureux étaient des adolescents et des préadolescents âgés de 10 à 16 ans. Les prix démarraient à 150 francs pour les hommes et montaient jusqu'à 400 francs pour les jeunes filles de moins de 11 ans : « Par leur silence, les autorités religieuses de la Koutoubiya, la fameuse mosquée qui protège de son ombre la place Jama' al-Fna ont couvert cet odieux trafic (...) Les ventes [d'esclaves] se déroulaient généralement les mardis et jeudis, juste après la prière du fajr (prière de l'aube) et avant l'exposition des autres "marchandises"»[xi]

Les Arabes d'Orient comme du Maghreb ont commencé par razzier des tribus africaines sans se soucier de leur confession dans plusieurs cas. Quand l'islam pénétra assez profondément des empires forts sur lesquels ils pouvaient s'appuyer pour faire du commerce, ils eurent une préférence pour le commerce en s'appuyant sur des musulmans africains qui, au nom d'un mimétisme malsain, tuaient, pillaient, razziaient d'autres Africains uniquement parce qu'ils étaient animistes. Ce phénomène sera visible sur la Côte des Zanj, comme dans la zone désertique séparant l'Afrique du nord de l'Afrique sub-saharienne. Au 12ème siècle, selon el Drissi, l'empire du Ghana et les peuples du Tekrour (royaume musulman peul situé sur la rive sud du fleuve Sénégal) faisaient des razzias constantes contre les Lam Lam animistes pour les vendre à leurs coreligionnaires arabes du Maghreb. Les souverains du Fezzan (des Arabes de Lybie) ont commencé très tôt par razzier des tribus païennes de la région du lac Tchad avant de s'appuyer sur les musulmans du Bornou ou de Kanem :

« Les souverains du Fezzan procèdent de la même façon. Ils pratiquent le commerce pacifique des esclaves noirs ; mais lorsque le pouvoir faiblit sur les rives du Lac Tchad, ils n'hésitent pas à venir eux-mêmes chasser l'esclave. Ce sera encore le cas au début du xix "siècle où le bey du Fezzan fit une attaque contre le peuple sans défense du Kanem, musulmans aussi bien que païens... les femmes et les enfants qui n'avaient pas la force de s'échapper furent capturés sur les rives"

Les commerçants arabes et leur escorte ne dédaignent pas non plus prêter main-forte aux musulmans sahéliens lorsque ceux-ci entreprennent une expédition vers les tribus païennes. Ce sera le cas en 1823 lors d'une expédition dont le major Denham a été témoin, où Arabes et Bornouans opèrent en commun (Lyon, A narrative of travels in northern Africa). Au Sahel central, il y eut donc commerce d'esclaves au moins depuis le IXe siècle. Et, à certaines époques au moins, la razzia directe prit place à côté du commerce »[xii]

Le royaume Mossi, vassal des songhaïs, a toujours refusé l'islamisation que l'Askia Mohammed voulu leur imposer au 15ème siècle. Ainsi, « en 1498, l'Askya du Songhaï entreprend une razzia contre les Mossis et, soucieux de se comporter en bon musulman, il somme le souverain mossi de se convertir à l'islam sinon il fera la Djihad, la guerre sainte. Refus catégorique du souverain mossi »[xiii]. L'Askia Mohammed avait un conseiller en guerre sainte, un Arabe du nom de Mour. Celui-ci était supposé lui apprendre les modalités d'un bon jihad. C'est Mour qui, notamment, apporta l'injonction écrite au roi Mossi exigeant sa conversion à l'islam.

Dans « Au pays des Senoussia », le Tunisien Othman Hachaïchi note au 19ème siècle que « les négociants de Ghédamés, les Chaambas, les Arabes de Ouergla, ainsi que quelques commerçants touaregs, amenaient des régions lointaines du Soudan de grandes quantités d'esclaves et les conduisaient de Tataouine à Tunis où ils étaient achetés par des négociants algériens, marocains ou égyptiens ». La dynastie tunisienne des Zirides (972-1152) possédaient 20 000 esclaves africains entre le 10ème et le 12ème siècle, de même que leurs palais, sous le dénommé Bulûghin, abondaient de concubines dénombrées à 400 têtes. Les Ibadites, secte issue des berbères Kharidjites peuplant une partie de la Libye et de l'Algérie, au 19ème siècle, avaient eux aussi des abid et des concubines noires. Mais en fait c'est une longue tradition chez les Kharidjites. Dès le 8ème siècle, ils contrôlaient le trafic d'esclaves noirs qui était une plaque tournante dans la ville de Sijilmassa. Dans cette ville, « les Noirs furent employés, en nombreuses troupes, à creuser le sol pour en extraire les concrétions salines »[xiv]

Le racisme des berbères d'Afrique du nord est largement antérieur à l'arrivée de l'islam. On ne s'étonnera donc pas de savoir qu'au 19ème siècle, la secte des Ibadites, fondée par des Berbères Kharidjites, possédaient le plus naturellement du monde des esclaves noirs. Les enfants métis, nés des unions qu'ils eurent avec les esclaves sexuelles africaines, subissaient une discrimination raciale sans le moindre état d'âme : « selon la doctrine ibadite, note Malek Chebel, [les métis] ne pouvaient accéder aux postes de responsabilité ni occuper de charge de responsabilité ». Ce type d'apartheid est le même que nous retrouvons encore aujourd'hui en Mauritanie - il faudrait un article entier sur ce sujet d'ailleurs. Le contrôle du monde arabe par les Turcs ottomans ne changera rien à l'esclavage pratiqué en Afrique du nord. On constatera que « la règle appliquée par les beys d'Alger fut de posséder, d'exploiter, de vendre et d'acheter autant d'esclaves qu'ils le pouvaient. Selon une règle non écrite mais connue de tous, la "marchandise" servile était "mécréante" (kafira) ou sans religion ("animiste", awthâniya), le propriétaire d'esclaves ne pouvaient encourir de peines légales, ni même de remontrances de la part de l'imam »[xv]

En 1849, une caravane d'esclaves en provenance du Bornou vit 1600 esclaves périr de soif dans le désert. Leur destinataire était le gouverneur ottoman de Tripoli en Lybie à qui le roi du Bornou livrait le bétail humain. Le vizir turc Mustafa Rechid Pacha, excédé de voir un tel gâchis, rappela au gouverneur de Tripoli - qui dépendait à cette époque du pouvoir ottoman - que « si notre sainte loi permet l'esclavage, elle exige que les esclaves soient traités avec un soin paternel et ceux qui agissent en contradiction avec elle, seront punis par Dieu ».

En 2008, on fantasme sur des idées abolitionnistes des musulmans du passé mais eux ne sont pas du tout dans cette logique : dans leur esprit, le Coran accepte l'esclavage mais demande juste que les esclaves soient bien « traités ».

Notes:

[i] P.A van der Lith « kitab al-Ajaib al-Hind », p. 22 cité par M. Gordon

[ii] Murray Gordon op. cit.,, p. 190

[iii] Richard Hill, « Egypt in the sudan, 1820-1881 », p. 65 cité par Murray Gordon op. cit., p. 175

[iv] Frédéric Cailliaud, op. cit.

[v] Frédéric Cailliaud, op. cit. pp.9-10-11

[vi] Frédéric Cailliaud «Voyage à Méroé, au fleuve blanc, au-delà de Fâzoql dans le midi du royaume de Sennâr, à Syouah et dans cinq autres oasis : Fait dans les années 1819, 1820, 1821 et 1822. Tome 2 » P. 358

[vii] «Voyage à Méroé, au fleuve blanc, au-delà de Fâzoql dans le midi du royaume de Sennâr, à Syouah et dans cinq autres oasis : Fait dans les années 1819, 1820, 1821 et 1822. Tome 2 », p. 379

[viii] Frédéric Cailliaud, pp. 45-46

[ix] M. Chebel p. 239

[x] Murray Gordon « L'esclavage dans le monde arabe », p. 102-103

[xi] M. Chebel p. 241

[xii] Jacques Giri « Histoire économique du Sahel : des empires à la colonisation », 1994 Karthala, p. 98

[xiii] Jacques Giri, op. cit

[xiv] Jacques Heers, op. cit. p. 95

[xv] M. Chebel, op.cit. p. 228


* Partie 1 - L'esclavage des Noirs en terre d'islam
* Partie 2 - Le racisme antinoir ordinaire
* Partie 3 - A l'assaut de l'Afrique
* Partie 4 - La traite des Blancs en Europe
* Partie 5 - L'esclavage sexuel
* Partie 6 - Esclaves militaires, chasses aux nègres et razzias
* Partie 7 - Conclusion