La réforme agraire, c'est ce qu'il ne fallait pas faire. Pour la simple raison qu'elle mettait en péril les grandes sociétés agro-alimentaires d'Angleterre. Toutes ces terres appartiennent aux Anglais, aux grandes sociétés anglaises. Engager la réforme agraire, c'est leur arracher les terres, les mettre en valeur pour les nationaux, les Zimbabwéens eux-mêmes.
Il y a quand même eu des accords passés entre Mugabe, la Grande Bretagne et les Etats-Unis
Oui, il y a eu les accords de Lancaster house. Pendant la signature de ces accords, il a été dit que les Etats-Unis et l'Angleterre accompagneraient la réforme agraire en prêtant de l'argent au Zimbabwe pour que le président Mugabe qui, sur ce point, a été un homme très moral, fasse bien son travail. Il a dit : "On ne peut pas arracher des terres qui ont appartenu à des pères et à des grands pères, à leurs descendants. On ne peut que les racheter pour que nous puissions aboutir à un pays vraiment libre, pour ne pas accumuler les rancoeurs". Ce qui a été accepté. Mais lorsqu'on arrive à la période de financement et que le Zimbabwe demande que les Etats-Unis tiennent leur engagement, la Secrétaire d'Etat américaine qui était d'origine irlandaise dit qu'elle n'avait pas à gérer des affaires de colonisation. Et ils n'ont jamais donné cet argent. La réforme agraire n'a jamais pu avoir lieu alors que les programmes d'ajustement structurel avaient déjà épuisé le pays.
Des programmes imposés pour que l'accompagnement ait lieu. Partout où vous mettez un programme d'ajustement structurel, vous créez une crise sociale. Et lorsque le pays est affaibli, alors tout devient possible. C'est comme ça que le MDC a pu sortir de la minorité en recrutant les fermiers, les pauvres, avec l'argent donné par les Américains. Comme je le dis toujours, quand vous êtes trop pauvre et que vous n'avez plus que la survie comme objectif majeur, alors vous n'êtes plus un homme. La pensée vient lorsque l'homme a l'intelligence de comprendre. Mais il n'a l'intelligence de comprendre que lorsque toute son intelligence n'est pas tournée vers la survie. Les Zimbabwéens, réduits à la misère, étaient la proie facile du MDC.
C'est dans ces conditions que le MDC a remporté le premier tour de la présidentielle devant la Zanu-PF de Mugabe
Oui, mais au fond, il s'agit de ce même Mugabe, celui qui a permis les législatives. C'est lui qui a organisé le premier tour de la présidentielle. Alors, pourquoi veut-on que celui-ci devienne un monstre ? Il a pu perdre le premier tour. On peut considérer que ses troupes ont reculé. Mais on l'a vu en France, Jospin était en tête des sondages. Par conséquent, les militants socialistes ne sont pas allés voter. Et il n'a même pas été au second tour.
C'est ce qui s'est passé aux législatives du Zimbabwe. Beaucoup de vétérans ont été récupérés par le MDC comme des troupes de sécurité, mais en fait ce sont des troupes d'assaut pour embrigader les villages en vue de poser des ractions violentes. Mais cela, personne n'en parle. Le MDC a récupéré une grande partie des vétérans en leur donnant de l'argent, des terres cédées par les militants du MDC. C'est cela que les gens ne veulent pas qu'on dise. Mugabe est victime comme bien des présidents africains d'une machine économique internationale qui a ses hommes et qui n'accepte pas qu'on modifie les règles du jeu.
On l'a vu en Amérique latine. Donnez-moi un seul leader qui a transformé son pays sans qu'il ne soit lui-même transformé en monstre. Dites-moi !
Chavez apparaît, tout le monde crie au scandale ! Castro qui a créé l'un des pays les plus puissants intellectuellement, tant sur le plan médical que sur le plan de la production littéraire, qui a réussi à équilibrer la balance économique, que n'a-t-on pas dit de lui ? Pour le bloc occidental, c'est un monstre ! C'est simple. Celui qui a été en occident peut comprendre ce que je dis, quand il est dans le bus et qu'une mère dit à son enfant : "Si tu ne te tiens pas tranquille, le Noir que tu vois-là, va te bouffer", c'est la même image que l'Occident renvoie toujours de tous les dirigeants africains qui veulent changer les données du problème qui les lie et qui demandent, même pas l'égalité, mais une amélioration.
A vous entendre, nous avons affaire à une secte politico-économique. La situation du Zimbabwe n'est-elle pas désespérée ?
Je pense que Mugabe est très fort. Comme il l'a lui-même dit, ils veulent aujourd'hui, prendre par la politique ce qu'ils n'ont pu avoir par les armes. Dans la complexité du problème zimbabwéen, se joue le même schéma international. En Côte d'Ivoire, ce que la rébellion n'a pas pu avoir par les armes, elle a cherché à l'avoir par la politique. On a demandé la suspension de la Constitution, la démission du président de la République, la suppression de l'Assemblée nationale afin de neutraliser son président qu'on jugeait trop virulent. Ce sont les mêmes techniques. A moins qu'on le tue, je ne pense pas que Mugabe laissera de son vivant le Zimbabwe entre les mains du MDC.
Qu'est-ce qui explique donc que des chefs d'Etat voisins qui sont sensés en savoir quelque chose, exigent le départ de Mugabe ?
Je vous ai dit que le problème du Zimbabwe, c'est celui de la Côte d'Ivoire, et de tant d'autres pays. C'est un schéma qu'on adapte. Quand la Côte d'Ivoire est entrée en crise, les gens que nous avons eu à affronter, c'étaient nos voisins. Ceux qui ont oublié, c'étaient nos voisins. Ceux qui nous ont rejetés, c'étaient nos voisins. C'étaient nos voisins du point de vue spatial et du point de vue idéologique, c'est-à-dire ceux avec qui nous partageons la même histoire comme le Sénégal, pour citer des noms. Les hommes n'ont de conscience politique que la conscience des intérêts immédiats de leur Etat ou d'eux mêmes.
Quand les hommes demandent la démission de Mugabe (qui n'est pas un ange, je n'ai jamais dit que c'est un ange), c'est pour pouvoir bénéficier des retombées économiques, des prêts, etc. Quand vous voyez aujourd'hui le Sénégal qui récupère pratiquement 80% de ce qui aurait dû se faire en Côte d'Ivoire, cela est dû à la position qu'il a prise durant la crise ivoirienne. C'est la même chose qui se passe au Zimbabwe.
Je pense que nous ne devons pas nous offusquer de tout cela. Nous avons un devoir de soutien envers le Zimbabwe. Tous les Etats africains devraient soutenir le Zimbabwe.
Ne craignez-vous pas d'appeler au soutien à Mugabe ? On pourrait vous traiter de tous les noms et même de vendu ?
Vendu à qui ? Nous sommes dans la même situation qu'en 1958 où Sékou Touré décide de dire Non à la France ! Tous les vrais vendus ont considéré comme vendus, tous ceux qui, comme Harris Fotê Mémel, Fiankan, ont soutenu Sékou Touré. Comme je l'ai dit une fois à la télé, qui nous parle du Zimbabwe ? Ce sont les agences internationales qui, à 99%, sont des agences occidentales. Elles sont dirigées par qui ? Par les mêmes qui tiennent l'économie mondiale ! Au fond, comment peuvent-ils parler autrement du Zimbabwe qui menace leurs intérêts ?