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La Finance et ses Monstres Contre les Peuples Africains - L’Afrique Trahie

Hémorragie

On pourrait croire que la misère régnant en Afrique peut s’expliquer par le fait qu’elle ne produit pas suffisamment de richesses. Ce n’est absolument pas le cas. Ces richesses existent, mais elles ne restent pas sur le continent noir, elles le quittent sans lui profiter. On estime qu’en 1999, 70 % de la fortune privée nigériane était investie à l’étranger |12|. Selon l’UNECA, la fuite des capitaux est équivalente au PIB de l’Afrique subsaharienne et directement liée à la dette : « D’après des données récentes pour 30 pays, la fuite des capitaux au cours des 27 dernières années [1970-1996] a été d’environ 187 milliards de dollars. La fuite cumulée des capitaux, y compris les intérêts imputés, représentait à la fin de 1996 près de 274 milliards de dollars. L’Angola, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Nigeria et la République démocratique du Congo ont enregistré les fuites de capitaux les plus élevées. [...] D’après les données disponibles, pour chaque dollar emprunté par l’Afrique, près de 80 cents rejoignent la même année les capitaux en fuite, ce qui donne à penser que la dette alimente la fuite des capitaux. De plus, cette fuite augmente chaque année d’environ trois cents pour chaque dollar qui vient s’ajouter au montant de la dette extérieure. On peut en conclure que les pays africains ne bénéficieront à long terme des stratégies d’allégement de la dette, que si celles-ci sont accompagnées de mesures visant à éviter un nouveau cycle d’emprunts à l’étranger et de fuite des capitaux |13|. » Le montant total des capitaux d’origine africaine placés à l’étranger est donc supérieur à la dette extérieure de l’Afrique, estimée par la Banque mondiale à 220 milliards de dollars en 2003 |14|. Cela signifie d’un point de vue global que l’Afrique est créancière vis-à-vis du reste du monde ! C’est un comble pour le continent le plus pauvre, mais finalement l’aboutissement de la logique du capitalisme auquel on a laissé la bride sur le cou…

La fortune privée africaine est colossale à l’échelle du continent. Selon le Rapport sur la richesse dans le monde 2004 |15| des sociétés financières Merrill Lynch et Cap Gemini, sur les 7,7 millions de millionnaires en dollars que comptait le monde en 2003, 100 000 sont de riches Africains et le montant total de leurs actifs financiers est estimé à 600 milliards de dollars. C’est le triple de la dette extérieure publique africaine. Un impôt exceptionnel sur cette fortune serait parfaitement complémentaire de l’annulation totale de la dette extérieure publique…

Le schéma est donc en réalité le suivant : par l’exploitation de leurs compatriotes et des ressources naturelles du continent, une faible minorité d’Africains s’enrichit et place son argent au Nord. Les économistes du monde entier ont alors beau jeu de déplorer l’épargne insuffisante sur le continent, ce qui empêche tout développement financé par l’Afrique elle-même. Le recours qu’ils proposent est alors l’endettement extérieur, qu’ils érigent en mécanisme central de financement pour l’Afrique. Bien sûr, le remboursement de cette dette extérieure devient ensuite une priorité pour les créanciers dont les intérêts sont défendus par le FMI et la Banque mondiale. Quand un pays est sous contrôle du FMI, les investisseurs internationaux (parmi lesquels les riches Africains) acceptent alors de lui prêter. Par leur travail de chaque jour, les populations permettent à l’État de rembourser, participant alors à l’enrichissement des créanciers et à l’accélération de la paupérisation sur place. Pour lutter contre la pauvreté, les experts autoproclamés, Banque mondiale et FMI en tête, font donc totalement fausse route, puisqu’ils cherchent à financer le développement en Afrique avec des capitaux étrangers, parmi lesquels ceux captés par les élites africaines et placés à l’étranger. La seule solution juste pour le développement de l’Afrique est une véritable redistribution des richesses produites sur le continent. L’hémorragie de capitaux actuelle constitue bien une trahison financière de l’Afrique par les riches Africains.

Une baisse irrégulière des cours

La trahison commerciale, quant à elle, s’illustre par des règles commerciales inégales et des cours des matières premières très bas. La tendance à la baisse a été accentuée par les programmes d’ajustement structurel, qui ont accru la vulnérabilité économique, notamment en démantelant les systèmes de protection de l’économie locale et de régulation des cours. Selon la Cnuced : « Le libre-jeu des forces du marché associé à la libéralisation et à la déréglementation des prix a été promu en tant que mécanisme garantissant la répartition la plus efficace des ressources et des gains socioéconomiques. Le concept de stabilisation internationale des prix des produits de base a ainsi été sévèrement battu en brèche |16|. »

C’est ainsi qu’entre 1997, année de la grave crise économique survenue en Asie du Sud-Est, et 2001, les cours ont chuté en moyenne « de 53 % en valeur réelle [...]. Cela signifie que les produits de base ont perdu plus de la moitié de leur pouvoir d’achat par rapport aux articles manufacturés |17| ». Les chiffres de la Cnuced permettent d’ailleurs d’affirmer que l’Afrique subsaharienne est particulièrement dépendante de ces produits de base, fournissant 4,5 % des exportations mondiales de biens primaires, mais seulement 0,6 % de celles de biens manufacturés. L’instabilité des économies s’en trouve multipliée car les cours sur le marché mondial peuvent varier brutalement : « Pour l’Afrique plus que pour aucune autre région en développement, le fait de dépendre très largement des produits de base pour ses recettes d’exportation signifie que le continent demeure vulnérable aux aléas du marché et aux conditions météorologiques. L’instabilité des prix, principalement due à des variations brutales de la production et de l’offre, la baisse séculaire des prix réels des produits de base et son corollaire, la dégradation des termes de l’échange, ont été lourds de conséquences en termes de manque à gagner, d’endettement, d’investissement, de pauvreté et de développement |18|. » Les risques sont encore plus grands avec la spéculation financière qui s’est récemment déchaînée sur les marchés des matières premières : en effet, « en deux ans le poids des fonds communs de placement américains qui investissent sur les index des matières premières a été multiplié par vingt |19| »…

Un arabica très noir

Prenons l’exemple du café, production très importante en Afrique de l’Est. L’analyse dressée par Radio France Internationale (RFI) est éclairante sur l’abandon des producteurs de café suite à la libéralisation économique exigée par les institutions internationales et les dirigeants des pays les plus industrialisés : « Les prix du café à leur plus haut niveau depuis trois ans au mois de juin dernier. C’est le constat du Directeur exécutif de l’Organisation internationale du café Nestor Osorio dans son rapport mensuel. Les producteurs pourraient crier victoire et sabrer le champagne si les prix ne venaient pas de si bas. Il y a trois ans, les cours mondiaux du café étaient en effet à leur plus bas niveau historique et semaient la désolation dans les plantations en Afrique comme en Asie ou en Amérique latine. Depuis, le redressement est certain. Mais il est insuffisant pour garantir à tous les planteurs un revenu décent. Les seuls à s’en tirer correctement sont les grands torréfacteurs dont la part du gâteau n’a cessé de grossir. Depuis 1989 et la fin des accords internationaux qui limitaient les quantités exportables et stabilisaient les cours, la part du prix du café qui revient aux planteurs n’a cessé de décroître au profit des mammouths de la torréfaction, les Nestlé, Kraft, Sara Lee. Depuis quinze ans, il y a donc un transfert de richesses des pays producteurs, des pays du tiers monde vers les pays industrialisés. Pourtant, les mesures proposées par la communauté internationale pour y remédier sont homéopathiques. On essaie ici ou là d’apprendre à des paysans analphabètes comment spéculer sur le marché mondial. Ailleurs, on les pousse à abandonner le café pour des cultures aux débouchés des plus incertains. Il est admis que rien ne peut être fait qui aurait un impact immédiat et permettrait un redressement des cours. C’est la résignation générale. Les politiques ont oublié le mot volonté |20|. »

What ? Ouate…

En plus du cours des matières premières dérisoirement bas, des règles injustes sont imposées par les grandes puissances commerciales. Certaines sont dues à l’action de l’OMC, créée en 1995, qui impose partout où elle le peut des politiques de dérégulation économique forcenée, privant les pays en développement des quelques outils de protection de leur économie (comme par exemple les caisses de stabilisation des prix de certaines matières premières) qu’ils étaient parvenus à mettre en place. Les autres découlent de décisions unilatérales prises par les pays riches, qui subventionnent massivement leur agriculture (environ 300 milliards de dollars par an) et qui interdisent aux pays pauvres de faire de même. Toutes ces règles iniques ont été d’ailleurs dénoncées avec force lors du sommet de Cancun (Mexique) en septembre 2003, provoquant son échec.

Regardons l’exemple du coton, qui, pour plus de 10 millions de personnes en Afrique de l’Ouest, est la principale ressource de subsistance. Quatre pays africains dépendants de leur production de coton (Mali, Burkina Faso, Tchad, Bénin) ont décidé de prendre l’offensive dans ce secteur en dénonçant auprès de l’OMC les subventions des États-Unis et de l’Union européenne à leurs producteurs.

Le coton africain coûte moins cher à produire que le coton des États-Unis. A priori, on pourrait penser que le coton africain s’impose sur le marché mondial libéralisé et que le secteur du coton états-unien souffre… Mais près de quatre milliards de dollars de subventions annuelles de la part du gouvernement des États-Unis à ses producteurs (sans compter les subventions européennes aux planteurs espagnols et grecs, de l’ordre d’un milliard de dollars) ont maintenu les cours du coton artificiellement bas, et le coton africain, de haute qualité, doit être bradé... En 2002, le Brésil a porté plainte contre les États-Unis devant l’Organe de règlement des différends (ORD), sorte de tribunal de l’OMC. Le 18 juin 2004, l’ORD a jugé les subventions états-uniennes au coton illégales, et les États-Unis ont encore perdu en appel en mars 2005. Le risque est grand que la solution qui en sortira soit négociée entre le Brésil et les États-Unis, sans que les pays africains ne puissent peser dessus puisqu’ils ne sont que participants tiers dans le cadre de cette plainte.

Selon la Cnuced, « la perte de parts de marché pour le coton et le sucre est largement due au niveau élevé des subventions et du soutien interne accordés à des producteurs moins concurrentiels aux États-Unis et en Europe. Les États-Unis sont le premier exportateur mondial de coton du fait de l’ampleur considérable des subventions versées, qui s’élevaient à 3,9 milliards de dollars en 2001-2002, soit un montant qui était le double de celui atteint en 1992 et qui dépassait de 1 milliard de dollars la valeur de la production totale de coton des États-Unis pour la campagne considérée sur la base des prix mondiaux. Toutefois, selon les estimations du Comité consultatif international du coton (CCIC), le coût de production d’une livre de coton est de 0,21 dollar au Burkina Faso contre 0,73 dollar aux États-Unis. Il s’ensuit que les prix sur le marché auraient pu être supérieurs de 70 % environ en l’absence de soutien public de l’industrie du coton en 2001-2002. […] La Banque mondiale estime qu’en 2002 le prix du coton sur le marché mondial aurait été de plus de 25 % supérieur sans les aides directes versées par les États-Unis à leurs producteurs nationaux. En outre, de nombreuses estimations indiquent qu’en 2002 les subventions versées par les États-Unis et l’UE à leurs producteurs de coton ont causé un manque à gagner d’environ 300 millions de dollars pour l’Afrique dans son ensemble, soit davantage que l’allégement total de la dette (230 millions de dollars) de neuf pays exportateurs de coton très endettés d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale, approuvé cette même année par la Banque mondiale et le FMI |21|. » Le coton des 25 000 gros planteurs des États-Unis est donc subventionné à plus de 100 %, pendant que les pays africains producteurs d’or blanc s’enfoncent dans la misère…

Des marchés inaccessibles

Toujours dans son rapport 2003 sur Le développement économique en Afrique, la Cnuced évoque le problème de l’accès des produits africains aux marchés du Nord. Elle note que le système en place favorise l’exportation par le Sud de produits bruts, non transformés, le privant ainsi de la majeure partie de la valeur ajoutée. Là aussi, les règles élaborées profitent aux grandes entités commerciales du Nord : « L’accès aux marchés demeure problématique [...]. Pour ce qui est du cacao, les droits de douane frappant les produits bruts, intermédiaires et [finis] sont, respectivement, de 0,5 %, 9,7 % et 30,6 % dans l’UE, et de 0 %, 0,2 % et 15,3 % aux États-Unis. [...] Le prix payé par le consommateur final est « déconnecté » du prix perçu par le producteur du fait de l’ampleur des marges de profit des intermédiaires aux étapes supérieures de la chaîne de valeur. [...] Tandis que les producteurs africains voyaient leurs revenus diminuer, les entreprises et les négociants situés aux maillons supérieurs de la chaîne de valeur engrangeaient d’appréciables bénéfices. Selon l’Organisation internationale du café (COI), par exemple, au début des années 90, les recettes des pays producteurs de café étaient comprises entre 10 et 12 milliards de dollars, tandis que la valeur des ventes au détail était d’environ 30 milliards de dollars. Aujourd’hui, cette valeur est de 70 milliards de dollars, dont les producteurs ne perçoivent que 5,5 milliards. [...] Une analyse de la chaîne de valeur du marché du café révèle que, depuis 1985, les agents économiques situés dans les pays importateurs accaparent une proportion croissante des revenus totaux de la chaîne. La répartition asymétrique du pouvoir dans cette chaîne de valeur explique l’inégalité de la répartition de ces revenus |22|. »


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