par Aminata Traore
« Il n’est pas certain que l’extrême personnalisation du conflit et la diabolisation de l’un des principaux protagonistes, Robert Mugabe en l’occurrence, ait aidé en quoi que ce soit à clarifier les enjeux de la lutte sociale et politique en cours au Zimbabwe. »
1. Qui juge qui ? Pour quels crimes ?
Le torrent de boue dont on couvre Robert Mugabe depuis de longs mois a quelque chose de nauséabond et de suspect. J’en souffre.
« Qui le juge ? De quels crimes est-il coupable ? » sont parmi les questions que nous sommes nombreux à nous demander, ce 10 décembre 2008, à l’occasion du 60ème anniversaire de la déclaration universelle des droits de l’homme.
« A 85 ans, pourquoi s’accroche-il tant au pouvoir ? » entendons-nous dire. Est-ce une raison suffisante pour l’humilier ? Est-il le seul de cette génération, à occuper ce poste a un tel âge ?
« Il est au pouvoir depuis 28 ans. » En termes de longévité au pouvoir, est-il le doyen en Afrique ?
« La fraude électorale ? » A-t-on oublié les élections américaines de 2000 ?
Rares sont ceux qui, en dehors du continent, se doutent des enjeux véritables de cette campagne de dénigrement et de déstabilisation d’une rare violence contre cet homme tant le titre de dictateur sied aux dirigeants du sud, plus particulièrement ceux du continent noir. Il suffit de regarder du côté de la cour pénale internationale pour s’en convaincre. Pendant ce temps, les fauteurs de guerre en Irak et en Afghanistan se posent en défenseurs des droits de l’homme au Zimbabwe et partout ailleurs.
Puisqu’ils ne sont pas à une contradiction près, les puissants de ce monde élèvent par ailleurs des murs devant ceux dont ils prétendent défendre les droits, lorsque ceux-ci tentent d’échapper aux effets destructeurs du capitalisme mondialisé. Le pacte européen sur l’immigration et l’asile dont la France a fait de l’adoption une priorité dans le cadre de sa présidence de l’Union européenne est l’une des traductions de ce cynisme.
2. L’indignation sélective
L’indignation et la justice à géométrie variable qui jettent le discrédit sur les droits de l’homme tournent au scandale lorsque George W. Bush se joint à Gordon Brown et Nicolas Sarkozy pour exiger la démission de Robert Mugabe, responsable selon eux des 600 personnes victimes du choléra. Toute perte de vie humaine est un drame. Mais alors, que dire des guerres en Irak et en Afghanistan qui ont fait près d’un million et demi de morts ?
Robert Mugabe aurait ruiné son pays dont l’économie était florissante et violé les droits des Zimbabwéens. En huit années d’une gestion calamiteuse, George W. Bush a fait pire en conduisant l’économie la plus puissante de la planète au bord du gouffre avec des conséquences dramatiques et pour son pays et pour le reste du monde : accroissement du chômage, pertes de revenus, tensions sociales et violences en tout genre.
Que fait et que compte faire la fameuse communauté internationale dont George W. Bush et ses alliés se réclament face au drame de l’Irak puisqu’il a enfin admis qu’il a commis une « erreur » tout en se défaussant sur des services de renseignements qui lui auraient présenté Saddam Hussein comme une menace pour les USA ? Ce mea-culpa tardif n’incite, visiblement, ni le président américain, ni le premier ministre britannique à changer de regard et de perspectives quant au Zimbabwe. Le départ de Robert Mugabe, le Saddam Hussein de Tony Blair, est une obsession. Et, tant mieux, si la faim, le chômage, la maladie et la fuite des Zimbabwéens, provoqués par des années d’isolement et de sanctions économiques, peuvent être instrumentalisés en vue d’atteindre cet objectif. Un tel acharnement participe, bel et bien, à la criminalisation, la traque et l’élimination de la « racaille » dans les banlieues du monde globalisé.
Ainsi va le monde, soixante ans après la déclaration universelle des droits de l’homme. Le « plus jamais ça » est parfaitement valable pour les « civilisés » qui évitent la guerre chez eux et se serrent les coudes dans la mise au pas des « barbares ». Pillée et humiliée, l’Afrique se doit de tirer le maximum d’enseignements de cette réalité en apprenant à distinguer les conséquences des actes de sabotage économique et de déstabilisation des dirigeants qui osent dire « non » de la mauvaise gestion que les démocraties occidentales savent, du reste, pardonner tant que leurs intérêts ne sont pas menaces.
3. L’asphyxie économique
Pèle mêle, les ennemis de Robert Mugabe retiennent, contre lui, en plus de l’expropriation des fermiers blancs des terres agricoles, l’hyperinflation qui chasse les élites (médecins, avocats, enseignants, journalistes…) du pays, l’opération de déguerpissement des mal logés en 2005, la fuite de plus de trois millions de zimbabwéens vers l’Angleterre et l’Afrique du Sud, la répression des opposants, le pourcentage élevé de personnes atteintes du SIDA, la faim et, à présent, l’épidémie de choléra.
Mais, la quasi-totalité des situations imputées à l’incapacité du dirigeant zimbabwéen à gérer son pays résulte d’abord du non respect d’engagements pris, l’une des caractéristiques de nos rapports avec les pays riches comme l’atteste, plus récemment, les fausses promesses d’aide du Sommet de Gleneagles. L’argent qui coule à flot ces derniers temps dans le cadre du sauvetage des banques a toujours fait défaut quand il s’agit d’honorer les engagements pris envers les peuples dominés. Le facteur déclencheur de la crise zimbabwéenne est plus précisément le non respect par la Grande Bretagne de l’accord de Lancaster House (signé en 1979) selon lequel elle devait dédommager les fermiers blancs dans le cadre de la réforme agraire.
La terre, un enjeu central dans toutes les sociétés dont l’économie repose sur l’agriculture, est donc au cœur de la rupture. C’est en cela que le bras de fer entre l’ex Rhodésie du Sud et l’ancienne puissance coloniale est emblématique des tensions en Afrique Australe et des conflits à venir à l’échelle du Continent puisque l’ouverture au marché rime de plus en plus avec l’octroi de centaines de milliers d’hectares aux investisseurs étrangers au détriment des petits producteurs.
L’économie zimbabwéenne était florissante et Robert Mugabe fréquentable tant que la minorité de fermiers blancs d’origine britannique pouvaient faire travailler des centaines de milliers d’ouvriers agricoles noirs sur les millions d’hectares de terres agricoles qui étaient en leur possession. Le héros de l’indépendance, est devenu l’homme à abattre à partir du moment où face au refus de Tony Blair de respecter les termes de l’accord de Lancaster House, il a dû récupérer les terres des fermiers blancs. Tout a depuis lors été dit à propos de la redistribution de ces terres qui n’aurait profité qu’aux proches de Robert Mugabe. La réalité est toute autre. Des milliers de familles sans terre jouissent aujourd’hui de leur droit à ce moyen de production. L’irrigation, les fertilisants, les prêts et la mécanisation sont autant d’efforts fournis dans le cadre de cette réforme agraire, avec les maigres moyens de l’état la priorité étant la couverture des besoins nationaux par l’agriculture nationale.
L’Europe, l’Amérique du Nord, l’Australie, la Nouvelle Zélande ont réagi dès la première procédure de retrait des terres, en 1997. Le dollar zimbabwéen a commencé à chuter et les sanctions économiques à pleuvoir : privation du pays de toute aide extérieure, de crédit, d’assistance de la part des institutions financières internationales et l’interdiction d’échanges commerciaux avec les entreprises américaines. Le pays de Robert Mugabe n’a bénéficié d’aucune aide en matière de balance des paiements depuis 1994 alors que jamais auparavant, il n’avait été privé d’apports extérieurs. Il a fallu, faute de prêts assortis de conditions favorables procéder à des émissions monétaires.
L’ingérence et la subversion à la base consistent dans ces circonstances à créer la pénurie en privant l’état souverain de moyens et à soutenir des ONG et des opposants politiques qui s’attirent la sympathie des populations auprès desquelles ils interviennent.
Les conséquences de l’embargo et des sanctions économiques ont été aggravés par des sécheresses autrefois cycliques (à peu près tous les dix ans) mais désormais fréquentes du fait des perturbations climatiques.
4. L’alibi démocratique
La Grande Bretagne prendrait une sacrée revanche sur l’histoire et rendrait un immense service aux fermiers blancs qui attendent, si elle parvenait à porter au pouvoir dans son ancienne colonie, un dirigeant de son choix ou tout au moins acquis au libéralisme économique.
Au-delà de la Grande Bretagne, les puissances coloniales et leurs alliés n’ont jamais eu autant besoin de renforcer leur présence en Afrique, l’avancée de la Chine étant une véritable menace pour eux. Ils y arrivent au prix de l’ingérence, de la subversion et de la guerre. C’est dire jusqu’à quel point le fossé est abyssal entre la rhétorique sur la démocratie, les droits de l’homme et les desseins des états libéraux d’Europe et d’Amérique sur le continent noir.
Le débat houleux qui pendant longtemps a opposé les occidentaux aux dirigeants des pays d’Asie dont la Chine quant à la primauté des droits économiques et sociaux sur les droits politiques ressurgit ainsi à la faveur de la mondialisation néolibérale sans être pris en charge de manière conséquente par les formations politiques africaines, la société civile et les médias. Il en est ainsi parce que les dirigeants africains savent que leurs pays seraient dans le même piteux état que le Zimbabwe s’ils s’avisaient, à l’instar de Robert Mugabe, à aller à l’encontre des intérêts dominants. La politique de la terre brûlée est réservée, comme ce fut également le cas pour la Guinée de Sékou Touré, à tous ceux qui s’écartent du « droit chemin ».
Pour l’heure, en dépit du satisfecit des occidentaux pour certaines « transitions démocratiques », le vote ne sert qu’au renouvellement du personnel local du système-monde. Les électeurs locaux en deviennent, à leur propre insu des clients de la politique spectacle et les victimes des rapports marchands qui lui sont sous-jacents. Les sujets qui peuvent écorcher les oreilles du G8, de l’UE et les IFIS tel que le pillage des matières premières de l’Afrique, le diktat des grandes puissances, la dette extérieure, les réformes néolibérales sont soigneusement écartés du débat électoral quand débat il y a. Et gare aux esprits critiques (opposants, médias, citoyens avisés…) qui osent défier les dirigeants dirigés dans leurs comportements mimétiques et complaisants. Ils sont combattus, de manière sournoise ou ouverte. Par contre, les faux opposants, les médias aux ordres, les associations et ONG qui savent manier la langue de bois seront épargnés, récompensés et utilisés pour soigner l’image du pays.
5. Nous sommes tous Zimbabwéens
Rien ne justifie l’humiliation de Robert Mugabe et les privations imposées à son peuple afin qu’il se soulève et le renverse. Il n’est pas paranoïaque puisque Gordon Brown et ses alliés après avoir poussé Morgan Tsvangiraï marchent à présent à visage découvert et sans complexe, lui demandant de démissionner. Nommer et défier ses agresseurs n’a rien à voir avec la haine des occidentaux véhiculée par certains médias qui excellent dans le lavage des cerveaux quant a Robert Mugabe. Précisément parce qu’il se savait le dirigeant d’un pays composé de blancs et de noirs, il a tenté de les fédérer en nommant des ministres zimbabwéens d’origine britannique dans le gouvernement.
Robert Mugabe n’est en aucun cas ce bourreau qui affame son peuple et le condamne à mourir du cholera et de je ne sais pas quelle autre maladie. Les quinze années durant lesquelles il avait les mains libres, il a réussi à réaliser le taux d’éducation le plus élevé du continent en plus des performances économiques enregistrées. On ne peut lui reprocher non plus de s’être enrichi personnellement ; à l’instar de la plupart de ses homologues même si certains excès sont reprochés à son épouse.
La persécution dont il est l’objet augure en réalité des difficultés à venir chaque fois qu’un dirigeant africain voudra se démarquer de la pensée unique en revendiquant la souveraineté économique, politique et alimentaire. Nous serons faibles et vulnérables tant que, face à une telle situation les peuples conscients des enjeux et des dangereux rouages du monde actuel ne prendront pas leurs destins en mains et ne défieront pas eux-mêmes leurs dirigeants mais aussi l’Union européenne, les IFIS, les anciennes puissances coloniales en quête de lieux d’ancrage, de matières premières et de parts de marchés.
Nous sommes tous des Zimbabwéens face au défi de la nouvelle citoyenneté qui fera de nous les seuls et véritables responsables de l’alternance politique dans nos pays et de la défense de tous nos droits.
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