FAUT-IL SE FIER À CEUX QUI NOUS ELOIGNENT DE NOTRE HISTOIRE?
Mise au point sur les errements de Jean-Paul Pougala
Quel qu´en soit le motif, cette réflexion ne peut nous laisser indifférent. Certes, le texte ne s’inscrit pas à un niveau élevé de réflexion scientifique au point de mériter une réponse digne de ce nom, mais il n’en demeure pas moins qu’à cette heure de large diffusion sur internet, on commettrait l’erreur de sous-estimer ces intox postées sur les réseaux sociaux et partagées par des millions d’internautes qui peuvent empoisonner la pensée de façon plus pernicieuse qu’on ne s’imagine. La présente analyse vise à attirer l’attention sur ces dérives mystificatrices qui vont à l’encontre de la restauration de notre paradigme.
1 De l’égyptomanie à l’égyptophobie
Le titre de l´article de Pougala en lui-même reflète la légèreté et la médiocrité inattendues de cet auteur qui se présente pourtant comme spécialiste de géostratégie et panafricaniste. Il est clair que mettre au même plan le débat sur la négritude et celui sur l’Egypte Antique est une hérésie scientifique monstrueuse et rédhibitoire, qui révèle l’immaturité scientifique du "géostratège". On aimerait surtout bien savoir en quoi la réappropriation de l´Egypte Antique(Kemet) comme modèle, dont l´importance a été suffisamment démontrée par Cheikh Anta Diop et confirmée par les travaux les plus récents en la recherche fondamentale dans les Humanités africaines, constituerait selon lui une erreur.
Au lieu de cela, l’auteur nous sert une litanie de mensonges et d’énormités dignes des apôtres de la falsification. Pougala n’hésite pas par exemple à trahir son ignorance dès le départ, en affirmant que l’égyptologie est l’apanage « des intellectuels dits francophones ». Dans une curieuse autocitation qu’il met en exergue dans le corps du texte, il écrit :
« Pourquoi ce sont les intellectuels Africains dits "francophones" qui sont les plus impliqués dans l'égyptologie ? Ce n'est surement pas pour leur proximité géographique avec l'Egypte. Mais tout simplement parce qu'en Europe c'est en France qu'on parle le plus de l'Egypte antique. » (Pougala)
Que de grossièretés ! D’abord, il faut dire que la réflexion sur l´origine négro-africaine de la civilisation de l’Egypte Antique a été d´abord soulevée par des auteurs anglophones Afro-descendants en Amérique. Elle débute avec les travaux de Martin Delany (1879). On pourrait aussi le renvoyer entre autres à James Mona Georges (1954) dont le Stolen legacy (héritage volé) sera publié la même année que Nations nègres et culture de Cheikh Anta Diop (1954).
Lorsque Cheikh Anta Diop fut farouchement combattu par la France (Gnonsea, 2003) et ses âmes damnées francophones apôtres de la négritude, ce sont les Anglo-saxons qui ont été les porte-flambeaux de la restitution de la mémoire historique africaine. En 1985, ils recevront Cheikh Anta Diop aux États-Unis avec tout l’enthousiasme et l’espoir qui caractérise cette communauté longtemps conquise par l’idéal de la négro-renaissance. Il fut même proclamé le 4 avril de la même année dans certains Etats une journée fériée en son honneur, Dr. Cheikh Anta Diop day (Sertima, 1985). Si la France et ses affidés "nègres" n’ont pas réussi à étouffer le combat historique de Cheikh Anta Diop et de ses disciples, c’est parce que le débat avait été déjà porté à un niveau très élevé de la réflexion scientifique et académique aux Etats-Unis, par toute une lignée d’universitaires anglo-saxons dont l’Afrocentricity est héritière. Il n’est pas vrai que les Francophones aient le monopole de l’égyptologie.
Le lecteur ne parvient pas également à se figurer ce qu’il entend par « proximité géographique des pays francophones par rapport à l’Egypte ». Il commet un anachronisme car l’Egypte Antique n´est pas l´actuelle Egypte. En outre l’on imagine que cela ferait rigoler à coup sûr les spécialistes d’apprendre qu’en Europe, « la France est le pays où on parle le plus d’Egypte », cela revient en somme à confondre recherche scientifique et entreprise de falsification.
De quoi faire remuer dans leur tombe Hérodote, Diodore de Sicile, Maspero, Jean-François Champollion, Volney, Delany, Cheikh Anta Diop, et tous les scribes égyptiens et nubiens qui n’ont pas manqué d’ écrire leur propre mémoire. L’affirmation principale de l’auteur est fondée sur une thèse révisionniste qui veut que l’Histoire de l’Egypte Antique ait été une affabulation orchestrée par l’empire colonial français à des fins de domination. Cette thèse, visiblement fallacieuse, a souvent été utilisée pour contester les faits mis en évidence par Cheikh Anta Diop, par les tenants de la thèse leuco-sémitique de l’origine des Egyptiens dont on peut bien retracer la lignée. Nous renvoyons à titre indicatif à deux ouvrages : le premier s’intitule Not out of Africa : how Afrocentism become an excuse to teach myth as history de Marie Lefkowitz.(1997)
L’auteur de cet ouvrage est spécialiste d’histoire sociale, une telle spécialisation ne confère en principe pas l’autorité pour trancher dans un débat sur l’Histoire et l’archéologie des peuplements anciens; du reste, son argumentation ne repose sur aucune méthode valable ou connue en recherche fondamentale, et reste même un défi aux règles les plus élémentaire de la démonstration scientifique. Le second ouvrage est Afrocentrismes - L'histoire des Africains entre Egypte et Amérique (Fauvelle-Aymar et al., 2004), un ouvrage collectif auquel participe Jean-Pierre Chrétien, l’auteur de référence de Pougala, et qui est préfacé par un autre "Tirailleur sénégalais" nommé Elika Mbokolo.
Rappelons que les deux ouvrages ont été respectivement démontés entre autres par Théophile Obenga dans Le sens de la lutte contre l’africanisme eurocentriste,(2001) et Molefi Kete Asante, The Painful Demise of Eurocentrism: An Afrocentric Response to Critics.(2000) Les élucubrations de ces contempteurs à la spécialisation et aux fins scientifiques douteuses consistent en somme à présenter paradoxalement l’acte de la destruction de l’histoire de l´Egypte Ancienne comme son acte de naissance. Mais leur défaut ne réside pas plus dans leur prise de position qui, comme Obenga l’a démontré, résulte d’un problème de conditionnement dans une perspective eurocentrique, que dans leurs méthodes inquisitoires consistant à contester des faits scientifiques par des arguments réactionnaires et des procès d’intention du genre « afrocentr-isme », (terme par lequel les auteurs entendent discréditer les recherches scientifiques des Noirs en y voyant du racisme au même titre que l’eurocentrisme, mot pourtant que Cheikh Anta Diop n´a jamais utilisé).
Pour en revenir aux déclarations de Pougala, disons que, contrairement à l’effet escompté par ces missionnaires et témoins occidentaux, leurs déclarations ne nous humilient aucunement ; elles témoignent au contraire de la véracité des thèses de nos « prédécesseurs », et doivent être versées au débat comme preuves du trébuchement d’une égyptologie occidentale fabriquée de toutes pièces qui, malgré toutes les peines qu’elle s’est données pour harmoniser ses points de vue, ne pouvait s’empêcher de sombrer dans ses propres contradictions.
En réalité les preuves irréfutables de l’appartenance de l’Egypte Antique à l’ère culturelle négro-africaine sont non seulement perceptibles à l’observation de nombreux traits culturels du monde négro-africain, mais ont également fait l’objet de recherches éprouvées en linguistique, en anthropologie, en analyse chimique, biologique et plus récemment en génétique. Il est dès lors grand temps de donner un tour de vice aux explications mythologique qui ont volontairement été privilégiées par rapport aux recherches scientifiques en ce qui concerne l’Antiquité égyptienne.
On se demande quel intérêt Napoléon aurait eu à mobiliser de tels moyens pour organiser une campagne coûteuse et périlleuse si les faits n’étaient pas rebelles à l’orientation qu’il voulait donner à l’Histoire. Rien que pour contester l’autorité britannique, comme le disent Pougala et ses maîtres à penser. Il y a de quoi s’étonner : en quoi conteste-t-on la domination de la Grande Bretagne en falsifiant l’histoire d’une de ses colonies, dont elle a elle-même excellé dans le pillage des vestiges historiques qui font la bonne affaire des musées britanniques – et l’on sait que les savants anglais vont s’associer plus tard à cette œuvre de falsification, qui n’a jamais été contestée dans le monde sémito-eurocentrique, mis à part les conclusions de quelques savants de bonne foi dont on ne peut manquer de saluer ici l’honnêteté intellectuelle.
Si les Egyptiens actuels issus des invasions successives ne se sont guère préoccupés de la réécriture de "leur histoire" à part le fait de réclamer des objets précieux volés par l’ex-métropole – et on le sait pour des raisons lucratives, c’est parceque cette conspiration du silence arrange tout le monde. Sauf bien entendu le monde noir qui se voit dépouillé de son histoire. Pougala doit savoir que c’est à partir de Napoléon que naîtra la thèse sémito-occidentale sur l’origine des anciens Egyptiens. Affirmer donc que le mythe d’une Égypte Ancienne noire est né de la campagne napoléonienne revient à dire ce que le monarque lui-même n’eût jamais voulu entendre de son vivant. C’est dire le contraire de ce que l’égyptologie occidentale née depuis cette époque et spécialement pour ce but, a toujours affirmé jusqu’à présent. Nous invitons simplement l’auteur à se renseigner mieux sur le débat. Que faut-il de plus pour comprendre que la France n’est que le mouroir de l’égyptologie? Comme le constate Cheikh Anta Diop :
« La naissance de l’égyptologie sera donc caractérisée par la nécessité de détruire dans tous les esprits et à tout prix, le souvenir d’une Égypte nègre et de la façon la plus la plus complète. » (1981: 4)
La thèse d’une Egypte Ancienne noire, aux cultures d’origine négro-africaine ne sera rappelée et consolidée que plus tard par les chercheurs africains dont nous avons parlé plus haut. Que des prêtres ou autres témoins européens, qui n’étaient pas censés être mêlés au projet de Napoléon et, confrontés à l’évidence d’une Egypte Ancienne noire, aient voulu l’utiliser à l’inverse à des fins coloniales ne signifie pas qu’ils en sont les créateurs, car les tous premiers historiens de l’Égypte Antique, comme nous le disions, ce sont d’abord les Egyptiens Anciens eux-mêmes qui ont su graver leur mémoire en lettres d’or hiéroglyphiques dans les vestiges indestructibles qu’ils nous ont laissés, dans leur architecture et dans leur sublime art de la sculpture. Ce sont ensuite les témoins oculaires grecs de l’antiquité (Hérodote, Diodore etc.), et ceux des temps modernes (Champollion, Volney etc.) dont on ne saurait tout de même remettre en cause la sincérité.
Pougala aurait pu s’épargner du ridicule en lisant tout simplement Cheikh Anta Diop. A défaut de le faire, il s’égare, au point même d’en arriver à la conclusion que les efforts entrepris pour restaurer la vraie histoire de l´une des plus anciennes civilisations modèles du continent constituent une « erreur de nos prédécesseurs ». Pour comble, l’auteur ne se donne même pas la peine de citer un seul de ces prédécesseurs. Est-ce par fidélité à sa malhonnêteté intellectuelle ou par crainte de se mettre la communauté à dos? Quoi qu’il en soit, cette méthode du silence utilisée par nos falsificateurs s’avère une arme fatale pour tuer intellectuellement un chercheur dont la vérité dérange. Même Cheikh Anta Diop, l’homme à la fois célébré d’un côté et redouté de l’autre pour son génie, n’a même pas eu droit, ne serait-ce qu’au mépris à titre personnel de notre cher Pougala. Mais il nous semble que l’érudit avait quant à lui prévu ou reçu des critiques des personnes de ce genre, qu’il désigne par « cosmopolites-scientistes-modernisants ». Selon le Pr. Cheikh Anta Diop :
« Cette catégorie groupe tous les Africains qui raisonnent de la manière suivante : fouiller dans les décombres du passé pour y trouver une civilisation africaine est une perte de temps, devant l’urgence des problèmes de l’heure, une attitude, pour le moins, périmée […] Ce groupe qui comprend des variantes est le plus intéressant à analyser, parce qu’il contient les individus les plus atteints de l’aliénation culturelle ».(Diop, 1954)
Pougala ne serait rien d’autre qu’un de ces « cosmopolites-scientistes-modernisants »
Nous aurions bien voulu ne pas en tenir rigueur à l’auteur, ne fût-ce que par solidarité panafricaine, en se disant qu’il est peut-être que victime de son goût prononcé pour l’exhibition médiatique, ainsi que de son obsession à faire le touche-à-tout sans avoir pris au préalable le temps de soigner sa culture pluridisciplinaire. Mais son texte, d’une dangerosité fort sournoise, enfonce le clou plus loin que prévu.
2 La débâcle des falsificateurs et l’émergence du paradigme africain
Pougala qui feint de ne pas avoir conscience des véritables enjeux du combat que mènent et que l’on mène contre les égyptologues diopiens devient fin connaisseur de la question quand il cite les idées des falsificateurs. Il nous le démontre suffisamment par sa façon de s’emparer et de faire siennes leurs affirmations et leurs méthodes. Pougala n’est donc pas aussi vierge qu’il veut faire croire de tout savoir sur le but visé par ce mélanocide historique livré par les puissances impérialistes et l’érudition occidentales contre la race noire. Bien au contraire, les détails méticuleux qu’il nous offre de ces thèses négrophobes, dont il affirme être partisan, trahissent ses références et ses accointances de façon plus inquiétante qu’il ne parait.
Ce procédé met en doute l’innocence et l’honnêteté de l’auteur, et l’on aurait peut-être tort de le prendre pour un simple gueulard qui se fourvoie.
Pougala, résolument plus engagé dans le colportage que dans la réflexion scientifique, reprend à son compte sans les réchauffer, les idées de ces contempteurs selon lesquelles nos égyptologues seraient non seulement des « aliénés » (allez-y comprendre !), mais des démagogues auxquels on peut reprocher de relayer les thèses de classifications colonialistes des peuples noirs en "plus intelligents" et "moins intelligents". Nous laissons Pougala répondre de ces allégations qui n’engagent que lui. Si l’on en croit donc l’auteur, l’Histoire de l’Egypte Antique ne correspondrait à aucune réalité historique, mais ne serait qu’un piège à Nègres commandité depuis les laboratoires à idéologie de l’Occident par le truchement de nos intellectuels. C’est une déclaration à ne pas banaliser car, correspondant à la réalité dans nos rapports avec l’Occident, qui nous a habitués à la triste expérience des mécanismes les plus subtils de contrôle de la pensée, il pourrait démotiver les esprits non avisés.
Cet "argument kamikaze", dernier recours d’une égyptologie occidentale agonisante, consiste à dissuader les Africains de tout contact avec l’égyptologie en leur faisant croire que c’est le sempiternel manipulateur français (eux-mêmes donc) qui leur envoie ce cheval de Troie pour faire diversion sur leur vrais problèmes d’actualité, crées encore par les mêmes. On comprend pourquoi ils ne peuvent qu’être réfractaires au recours à la réhabilitation historique comme antidote pour échapper à l’aliénation qui justifie leur emprise sur les consciences mutilées et leur permet d’opérer tranquillement. Mais que dire d’une pareille argutie?
D’abord, lorsque le manipulateur se met lui-même à dénoncer sa propre créature (l’égyptologie), c’est qu’il y a problème. Ce problème aujourd’hui est bien connu de tous : il s’appelle Cheikh Anta Diop. Nous diront-ils que Cheikh Anta Diop aussi est manipulé pour nous conduire dans le merdier égyptologique? Dans ce cas, pourquoi nous empêchent-ils de tomber dans le piège qu’ils auraient eux-mêmes tendu? Pourquoi continuent-ils de combattre Diop? Pourquoi craignent-ils de l’enseigner, alors qu’ils ne cessent de faire l’éloge de la négritude, d’écrire des livres sur l’anthropologie, l’ethnologie africaine etc.? Pourquoi tout historien, fût-il Africain ou non, qui choisit d’explorer l’histoire de l’Antiquité avec un regard qui sort des canons imposés par le semito-eurocentrisme devient suspecté et banni des médias, voire excommunié de la communauté scientifique?
Ce seul fait suffit pour comprendre que les découvertes de l’égyptologie africaine font mal. Si l’égyptologie était orientée au départ vers l’effacement des traces du Noir, depuis la découverte de cette manigance, la menace a changé de camp. Et le retour de la manivelle fait peur. Cheikh Anta Diop, c’est l’invité surprise, le trouble-fête, le cheveu dans la soupe, le grain de caillou dans la chaussure, le deus ex-machina qui vient porter un coup fatal au montage d’une ridicule jonglerie historico-politique qui aura duré plus de deux siècles.
La question se pose de savoir pourquoi Diop fait si peur dans un débat scientifique. Une autre façon de poser cette question est : pourquoi l’Occident depuis Napoléon a-t-il fait de ce débat scientifique une affaire politique, au point d’y mettre de moyens financiers colossaux, mutilant des statues, faisant disparaître des sources, confisquant avec une rare malhonnêteté des vestiges précieux et même sacrés de notre histoire pour en faire des objets de musée, organisant des colloques et des publications à des fins de falsification, mettant à contribution Hollywood pour obtenir des films documentaires montrant des Egyptiens « blancs à peau noire », ou « noirs à peau brune », aux cheveux blondâtres et au nez presqu’aquilin?
Quel intérêt ont-ils à fourrer leur nez dans l’histoire d’un autre peuple, et à lui contester ce qui lui appartient de toute évidence, au point même de s’exposer au ridicule face à des faits manifestement rebelles à leur théorie dogmatique et raciste du "tout sauf l’Afrique subsaharienne", quitte à chercher des nouvelles parentés dans l’Atlantide ou dans on ne sait quelle planète au grand défi de la méthode scientifique la plus élémentaire? Si la science qui devrait garantir l’objectivité est souvent pervertie par l’idéologie et récupérée par le politique, si la colonisation implique nécessairement la négation du peuple colonisé et évidemment de son histoire, dès lors il est de bonne logique que chaque peuple rétablisse la vérité sur son histoire, sans avoir à rendre compte à un autre.
Il est utile de rappeler ici le dur combat que Cheikh Anta Diop a dû mener pour faire valoir ses thèses, dont l’apothéose sera le fameux colloque du Caire (1974) qui aboutit à la sa publication dans l’Histoire générale de l’Afrique entreprise par l’UNESCO, et le martyr que continuent de subir ses successeurs. Il est dommage que la communauté scientifique occidentale ait choisi de foncer droit dans la logique du déni de l’Histoire et de l’objectivité, ce qui constitue, selon les termes de Diop lui-même, l’un des plus graves crimes contre la science et l’humanité.
La preuve que le combat égyptologique « n’est pas un combat passéiste » (Diop), c’est que bien qu’ils aient perdu trop de terrain, les falsificateurs n’en démordent pas de leur projet machiavélique. Ils n’affirment plus, certes, que la civilisation égyptienne est d’origine extérieure à l’Afrique, mais ils persistent à vouloir séparer l’Egypte Antique du reste de l’Afrique pour ne pas commettre l’erreur de dire que les Africains actuels, transformés en Nègres de circonstance par leur propres ancêtres, aient été à l’origine de quoi que ce soit de positif, surtout pas de la civilisation dont ils se targuent aujourd’hui d’avoir le monopole.
C’est un sentiment d’orgueil racial cultivé à coups de falsifications et de clichés distillés par l’éducation. Mais cet argument n’est pas déterminant. Ce qui rend dérangeante la réappropriation des références culturelles égyptiennes par les Africains et qui fait peur aux impérialistes occidentaux, Cheikh Anta Diop nous l’explique:
« Pour nous, écrit-il, le retour à l’Egypte dans tous les domaines est la condition nécessaire pour réconcilier les civilisations africaines avec l’histoire, pour pouvoir bâtir un corps de sciences humaines modernes, pour rénover la culture africaine. Loin d’être une délectation sur le passé, un regard vers l’Egypte Antique est la meilleure façon de concevoir et de bâtir notre futur culturel. L’Egypte jouera, dans la culture africaine repensée et rénovée, le même rôle que les antiquités gréco-latines dans la culture occidentale » (Diop, 1954: 62)
Il y a donc derrière l’orgueil racial, la peur de perdre le contrôle psychologique, et donc la domination politique, économique et cultuelle due aux razzias et à la rapine par lesquels leurs prédécesseurs sont « entrés dans l’Histoire », et que seule l’Histoire falsifiée pouvait leur permettre de conserver pour longtemps. Comme disait Napoléon lui-même : « L’Histoire est une farce écrite d’un commun accord ». C’est une parole digne du père de la falsification qui a su bien la mettre en pratique de son vivant, en oubliant toutefois que l’Histoire de la farce n’a de durée de vie que celle du farceur. Mais il est de l’ordre naturel des choses que la vérité finit toujours par s’imposer contre le gré de ceux qui la craignent. On comprend alors pourquoi ceux qui dominent le monde aujourd'hui par la force, doivent aussi beaucoup à cette farce persistante leur mythique suprématie historique qu’ils ont installée dans les esprits, d’où leur hostilité à l’égard de la réalité historique.
On comprend pourquoi cette renaissance fait peur. Des Africains ont enfin compris que seule une reconquête progressive de la conscience historique donne la clé à la libération. Cette vision éclipsée par des systèmes de censure et d’autocensure durant un demi-siècle qui refait enfin surface, ne reste qu’à être vulgarisée.
C’est la raison pour laquelle ces pouvoirs impérialistes obscurs, qui ont bâti leur fortune sur l’exploitation inhumaine du Noir en opposant les peuples sur des critères racialistes, s’en prennent à toute entreprise visant cette réappropriation historique susceptible de vaincre l’arme fatale qu’ils ont toujours utilisée contre l’Afrique : l’ignorance. Leur unique dessein est d’étouffer la renaissance dans l’œuf. Si un intellectuel africain ne comprend pas cette réalité, à quoi peut-il être utile à cette renaissance? « Si vous n’êtes pas la solution, dit le dicton, alors vous êtes le problème ». C’est bien le cas de Pougala.
C’est dans ce sens que s´orientent toutes les réflexions avisées qui s’inspirent des fondements posés par Cheikh Anta Diop : Theophile Obenga, Tshiamalenga Ntumba, Jean-Charles Coovi-Gomez, Mubabinge Bilolo, A. Moussa Lam, Babacar Sall, Oum Ndigi, Alain Anselin, Ben Jochannan, John H. Clarke, Jacob Carruthers, Maulana Karenga, Molefi Kete Asante, Ama Mazama, Marimba Ani, José Dos Nasciemento, Jean-Pierre Kaya, pour ne citer que ceux-là. Tous ces théoriciens s’inscrivent dans la perspective non plus d’une Afrique qui doit évoluer sous le contrôle de quelque puissance que ce soit, mais d’une Afrique qui a été à l’origine des grandes civilisations (dont l’Egypte n’est que la référence la plus élevée) et qui peut, en reprenant son initiative historique, délivrer l’humanité des prurits de la civilisation semito-occidentale qui s’est imposée partout par la force et non par une quelconque prééminence morale et civilisationnelle, et qui a visiblement atteint ses limites et l’heure de son déclin, même si elle continue de s’accrocher par des méthodes non moins barbares que celles du passé.
3 Enjeux du passé et défis du présent
Du moment qu’un Africain s’oppose à l’œuvre de réappropriation de la référence historico-culturelle de l’antiquité égypto-nubienne, il y a deux éventualités : soit qu’il ne comprend pas l’enjeu de cette renaissance historique, ou qu’il a un intérêt personnel à l’entraver. A en croire ses réflexions, Pougala souffre sans doute de ces deux maux à la fois : l’ignorance et l’opportunisme.
Il affirme avoir « parcouru pendant plus de 20 ans les routes des musés d'Europe pour comprendre le passé des Européens ». A-t-il fait aussi la même démarche pour comprendre l’histoire de son continent natal qu´il prétend tant aimer? La réponse est non, vu les insanités qu´il pond. Cela n’empêche qu’il tire des conclusions de sa peu glorieuse quête : il déclare également que les historiens viennent de la "Bourgeoisie" et que pour cette raison, l’on ne devrait pas se reconnaître dans "L´histoire nationale ou continentale" écrite par eux. C´est une réinvention de la notion d´historiographie, voire du "populisme idiot." Qu´il nous présente alors un peuple qui rejette son "histoire nationale ou continentale" pour des raisons qu´il évoque ci-haut. Pour être historien, il faut d’abord en avoir, non seulement les capacités éthiques et scientifiques requises, mais aussi une formation adéquate. Si nous suivions la logique de ce tribun, on ne devrait point faire d´historiographie, ni même écrire l´Histoire - sous prétexte qu’on appartient au bas peuple, au prolétariat. Comment cela se passe-t-il en Chine? Cela se saurait, si les Chinois avaient attendu une hypothétique prospérité économique pour s´intéresser à leur histoire multimillénaire. Et la Révolution culturelle de Mao Tsé-toung, père fondateur de la Chine moderne, le retour à Confucius auquel Pougala va même jusqu’à inviter les Africains, la réhabilitation spirituelle bouddhique? Est-ce de la fiction? Voilà "une peau noire masques chinois" qui s´ignore, sinon comment expliquer ces affirmations gratuites? Il nous semble qu´il a mal lu Karl Marx. Ce qui explique sa curieuse géostratégie sans aucune pertinence historique, où le peuple Africain apparaît comme un troupeau de moutons sans histoire et sans vision propre de l’avenir, qui ne demande qu’à brouter du foin au présent quitte à s’aliéner davantage aux mains de la première puissance venue, pourvu qu’on change de bourreau.
Pougala va plus loin en jetant l’anathème sur les civilisations africaines, qu’il considère comme n’ayant aucune efficacité et n’ayant en rien « influencé…la pensée politique ou le modèle économique du continent africain depuis la fin de l'occupation européenne de l'Afrique à ce jour ». Comment planifier le futur de l’Afrique en prononçant une telle diatribe contre son passé, reprenant même les thèses hostiles et réductrices de l’histoire africaine articulées par ceux qui déciment l’Afrique depuis des siècles? Comme dit le Pr. Coovi Gomez, lorsqu’on arrive au point où on est en accord avec ses détracteurs, il faut comprendre qu’on s’est trompé de combat, il faut se remettre en cause.(Gomez, 2011)
Ce conseil s’adresse bien à Jean-Paul Pougala qui n’hésite pas à proclamer, à l’unisson de ceux qui se sont donné pour mission de salir la mémoire historique africaine, l’existence supposée de L´esclavagisme en Egypte Antique, un autre mythe qui a bien la vie dure. On ignore complètement une histoire, mais on se permet de faire la spéculation, voire de raconter des énormités, n’est-ce pas ? Nous préférons pour toute réponse le renvoyer aux conclusions de Bernadette Menu, une égyptologue dont le point de vue fait autorité sur cette question:
« Dans la conscience collective, les mots ”esclavage” et ”Egypte” sont bien souvent associés à l´évocation d´images hollywoodiennes suscitées par les travaux gigantesques induits de constructions qui, aujourd´hui encore, défient le génie civil. En raison de la trop grande distance chronologique et culturelle qui les séparait de leur objet, les sources classiques et bibliques – qui ont été pendant de nombreux siècles les seules références à la disposition de l´Occident – avait déjà forgé de l´Egypte pharaonique une représentation décalée de la réalité de la documentation égyptienne [...] Celle-ci n´étant devenue accessible que depuis la découverte de J.-F. Champollion en 1822. La plupart des auteurs modernes qui – selon des motivations et de critères idéologiques très différents – se sont penchés sur les institutions de l´Egypte pharaonique, ont admis d´emblée comme un postulat l´existence de l´esclavage. Or, les niveaux de dépendance, ou plutôt de "relevance" s´avèrent extrêmement nombreux et diversifiés [...] Rien ne permet de déceler, dans l´Egypte pharaonique, la moindre trace d´un esclavage [...] »(Menu, 2004: 337)
Aujourd’hui, on en sait d’ailleurs beaucoup plus sur cette question qui, elle au moins, fait l’unanimité des chercheurs (archéologues, anthropologues et linguistes) de tous horizons. Ces affirmations capitales mettent davantage en doute l’honnêteté et la culture de l’auteur. En relayant ces propos hostiles, il montre, en tout cas, qu’il a décidément pris parti contre la refondation historique africaine. Mais sa position n’a rien de nouveau ni d’original. Elle a toujours été agitée par des impérialistes chagrinés par la prévalence de la perspective diopienne sur la version falsifiée de l’histoire qui était destinée à réduire le Noir en un éternel esclavage mental. Leur argument-massue consiste à dire que « la délectation » du passé glorieux d’une lointaine antiquité égyptienne est une cause de « retard » pour l’Afrique. Pougala ne fait que reformuler ici cet argument :
« On dit que c'est le passé qui nous permettra de comprendre le présent et mieux préparer l'avenir. C'est dans cette logique que des intellectuels africains ont approfondie l'étude de l'Egypte Antique avec brio. Mais je crois que cela a été une erreur qui a fait perdre à l'Afrique un temps précieux dans la bataille pour sa liberté mentale [...] la priorité reste à comprendre le présent, à décrypter les pièges du présent et chercher comment en sortir. Le jour où nous aurons la tête hors de l'eau, nous pourrons sereinement réécrire notre histoire avec beaucoup de recul, parce qu'il n'y a pas à mon avis la souveraineté de la pensée sans la souveraineté des moyens pour construire cette pensée [...] »(Pougala)
On tomberait dans le piège d’une telle rhétorique si l’on n’est pas vigilent. En fait l’Afrique n’a jamais véritablement pu vulgariser sa vraie histoire. L’un des obstacles qui a toujours empêché l’Afrique de s’épanouir selon sa propre orientation civilisationnelle, c’est d’ailleurs le défaut de perspective historique. Il est indéniable que le continent a été mis à genoux par les occupations et oppressions étrangères. Aujourd’hui encore c’est principalement l’emprise étrangère avec la complicité de certains intellectuels et décideurs politiques Africains, qui maintiennent l’Afrique sous le joug de la domination néocoloniale, qui sont les causes principales des problèmes africains.
Ce qui empêche l’Afrique de se libérer d’elle d’elle-même, c’est la revitalisation de la conscience historique, et ceux qui incriminent l’histoire au regard de la situation présente de l’Afrique font preuve soit de mauvaise foi, soit de myopie politico-idéologique. Les Occidentaux s’opposent à la mise en relation de l’Egypte Antique et de l’Afrique noire parce qu’étant eux-mêmes passés par-là, ils savent bien à quel point la refondation historique axée sur l’édification d’un nouveau paradigme et la restauration de la conscience historique permettra à l’Afrique de retrouver son autonomie culturelle et mentale. En effet, l’Egypte Antique offre le modèle le plus complet d’une source commune à toutes ces cultures et d’un paradigme opératoire qui permettraient de surmonter les clivages introduits par ces nombreuses influences étrangères.
La référence à l’Egypte Antique permet surtout de se libérer de leur paradigme aux concepts piégés (développement, démocratie etc.) qui ne sont que des « canulars politiques » (José Do-Nascimento), pour viser un niveau de civilisation plus élevé correspondant à nos propres références historiques, en partant du postulat scientifique que l’Afrique n’est pas un contient en retard, mais en « régression historique ». (Do-Nascimento, 2008: 19-93)
Du reste nous pouvons bien nous passer des leçons de Pougala, qui font injure à notre intelligence. Il ne fait que rabâcher partout ce que tout africain sait déjà. Quel Africain ne connaît pas les tristes réalités que traverse l’Afrique aujourd’hui. Pourquoi dans le cas de l’Afrique, veut-on voir le présent et le passé comme deux réalités opposées, alors que l’Afrique a plus que jamais besoin de restaurer ses valeurs pour échapper aux influences extérieures qui nous ont longtemps maintenus dans une dépendance nuisible et dans la léthargie ? Loin d’être le fruit d’une égyptophilie d´autoglorification stérile et inféconde, le recours à l’Egypte Antique demeure tout un programme d’actualité. Nul n’a besoin aujourd’hui de se glorifier de son passé, moins encore de prouver à qui que ce soit qu’il a « compté il y a 3000 ans »(Pougala). La continuité historique retrouvée comporte un bénéfice moral important : elle nous permet de nous débarrasser des complexes naguère infligés par la falsification, de prendre la mesure de notre régression, de nous inspirer des valeurs pertinentes des nos civilisations et d’agir sur le présent et l’avenir comme agents de notre propre destinée, tout en réglant nos rapports entre nous, et avec les autres en fonction de notre vision du monde.
Que les tenants de cette thèse nous expliquent ce qui empêche d’être actif dans le présent quand on connaît ou cherche son histoire. Il nous semble au contraire que l’efficacité de notre attitude face au présent dépend de la connaissance que nous avons de notre passé. Ce n’est pour rien que pendant longtemps, les versions occidentales de l’histoire qui restent enseignées jusqu’à présent sont conçues pour saper le moral du jeune africain, en lui inspirant un dégoût de l’histoire. C’est pourquoi, les tentatives entreprises par cette génération pour briser le tabou ne peuvent que paraître subversives au regard de nos tyrans. Mais l’Histoire nous a aussi enseignée que la liberté ne se donne pas, qu’elle s’arrache.
Quand Pougala affirme qu’il faut d’abord se libérer des contraintes du présent avant de s’occuper à écrire son histoire, il ne fait qu’exposer sans vergogne son indigence intellectuelle, il contribue surtout à accentuer cette méfiance de nos jeunes à l’égard de leur histoire. En effet à quoi sert l’histoire si ce n’est à donner au peuple sa conscience de peuple en vue d’une action cohérente pour changer son destin. Si pour lui, l’histoire est un simple luxe dont on ne s’occupera qu’après la libération, qu’il nous donne alors son plan magique pour obtenir cette libération. C’est vrai qu’on est tous en émoi face à l’actualité dans tous les pays d’Afrique, qui est pour le moins qu’on puisse dire peu réjouissante, que l’urgence nous appelle à une course contre la montre, car l’impérialisme en mal de survie, confronté à son extinction ne cesse de multiplier les actes d’occupation et de destruction de l’Afrique au gré de ce qu’il croit être ses intérêts.
Ce n’est pas pour autant qu’il faut jouer sur cette fibre pour nous orienter dans des faux combats. Ceux qui passent leur temps à incriminer la pensée sous prétexte qu’ils sont des hommes d’action n’en comprennent pas l’enjeu réel. C’est une telle aberration logique qui amène Pougala à dire sans se rendre compte du paradoxe contenu dans ce point de vue que le passé entrave notre « liberté mentale ». Tout dépend certes de ce qu’on fait de ce passé, encore faut-il le connaître, et nous avons suffisamment montré que la réappropriation du modèle de l’Egypte Ancienne est une démarche méthodique et constructive et non une quête sentimentale.
Si jusqu’ici les prophètes du présent ne nous sortent pas de l’ornière, ils devraient savoir que ce n’est parce que nous ne savons pas sortir dans les rues ni créer des entreprises, mais que le type d’oppression sous lequel nous ployons depuis des siècles a été nourri d’expériences profondes de l’oppression et que la meilleure action pour s’en libérer exige une maturation idéologique tout aussi approfondie. Il est dommage que ceux qui se disent nos hommes d’action refusent de s’inspirer des recherches et conclusions produites dans le cadre des recherches historiographiques, et préfèrent s’inscrire dans une logique d’opposition du passé et du présent, allant même parfois jusqu’à l’agressivité la plus vulgaire.
La meilleure façon d’empêcher un peuple de réfléchir profondément sur son destin est de le réduire aux préoccupations présentes. Le théoricien et l’homme d’action doivent pour cela fonctionner dans un rapport de complémentarité, et le vrai homme d’action est celui qui s’inspire d’une idéologie. Tous les penseurs africains dignes de ce nom sont unanimes sur le fait que l’action la plus efficace aujourd’hui passe prioritairement par l’éveil de la conscience historique. Pour finir sur ce point il faut rappeler la réflexion suivante d’Obenga, qui souligne le lien nécessaire entre la conscience historique et l’action.
« La démarche africaine, en interrogeant le passé africain, des origines à nos jours, est celle-ci : connaître par soi-même tout son passé (glorieux ou non) sur toute l’étendue du continent africain, évaluer les accomplissements par les ancêtres, étudier leurs succès et leurs échecs, leurs valeurs et leurs idéaux, comprendre philosophiquement et économiquement la traite négrière (le plus grand crime contre l’humanité commis par l’Europe entière), rechercher l’unité, la solidarité et l’intégration africaine, bâtir la Renaissance Africaine dans le contexte global du monde d’aujourd’hui » (Obenga, 2001: 51)
4 Des errements d’une ”géostratégie” sans conscience historique
C’est de l’absence de cette conscience historique que souffrent les réflexions du trop médiatique Pougala, qui dans ces nombreux one man show, ne cesse de patauger dans les formules éculées de la vieille école du développement à l’occidentale, sauf que cette fois, il ne s’agit plus d’un développement made in West, mais d’un développement délocalisé, made in China. Après les apôtres nègres de la mission civilisatrice européenne, voici venue l’ère des apôtres nègres de la mission constructrice chinoise, dont Pougala est le prototype.
Les plans géostratégiques pour l’Afrique à la sauce Pougala dont il nous rabat quotidiennement les oreilles sont une véritable catastrophe, s’ils ne sont pas simplement vides de contenu. Les idées qu’il brasse dans son discours n’ont rien d’original, sauf d’être exprimées par un orateur qui sait jouer sur les émotions de son public en lui disant ce qu’il sait déjà. Ils se réduisent à des constats de polichinelle, buzz médiatiques balancés comme des scoops sur les conflits d’intérêts mesquins entre l’Occident et la Chine en Afrique, et à une submissivité quasi-masochiste de l’Afrique au providentielle modèle de développement chinois, perçu comme la nouvelle panacée, soi-disant pour contrer l’hégémonie occidentale. L’intérêt de l’Afrique y est systématiquement sacrifié sans remords et le continent-mère y fait figure de province inféodée à la Chine. Quand Jean-Paul Pougala, tel un prestidigitateur, croit jouer habilement sur la naïveté de son public, en brandissant son titre de géostratège, il est sans doute seul à ne pas savoir que ces titres pompeux ne mystifient personne. « L’émotion est nègre », disait Senghor. Mais Stanislas Adotevi lui a répondu : « Il n’y a plus de Nègres ». Pougala ferait donc mieux de garder ses plans géostratégiques douteux pour lui, au lieu de nous la faire miroiter, comme une panacée :
« Pendant plusieurs décennies, dit Pougala, des intellectuels africains ont été très actifs pour relancer une conscience africaine plus optimiste, plus positive et tenter de donner au continent sa dignité, sa respectabilité. Mais sans la prise de conscience de la nécessité des connaissances géostratégiques, ils ont pour la plupart été plus un problème pour l'Afrique qu'une solution, relayant, souvent en bonne foi des théories et des pseudo-solutions préparées par le système dominant pour asservir tout un continent.»(Pougala)
Au fait la géostratégie qu’est-ce que c’est? Lorsque cette étiquette ne sert pas à mystifier comme le fait Pougala, mais doit être utilisée dans un contexte sérieux, elle renvoie tout simplement au sens de l’organisation d’une action précise ou d’un projet politique, social, économique, par rapport aux réalités du terrain, aux circonstances et aux contraintes en présence.
Cela peut d’abord être conçu aussi bien dans les actions professionnelles les plus ordinaires (un paysan, un commerçant, un chasseur font de la géostratégie) que ceux qui engagent l’avenir des sociétés et des Nations (Narmer, Shaka Zulu, Marcus Garvey, Cheikh Anta Diop, Joseph Tchundjang Pouémi (2000) etc. étaient de grands géostratèges, des analystes qui n´avaient pas besoin de poncifs creux pour s´affirmer). Dans un sens plus actuel, ce mot peut signifier « une action déterminée par des actions contingentes, militaires, économiques, culturelles, sociologiques, et un discours, dimension considérablement renforcée avec l'avènement de la télématique et de l'Infowar, la guerre de l'information. La stratégie comporte des opérations intellectuelles et des opérations physiques, " concrètes ", choisies parmi une palette d'actions réalisables et acceptables. De ce point de vue, la stratégie est d'abord un choix, une science de la décision. » (Valle, 2009) A ce titre, la géostratégie est une compétence attaché à plusieurs disciplines (Economie, Science-Po, Diplomatie, Marketing, Droit, Ecole Militaire) et fournit des méthodes d’analyse globale du marché, de la communication, de la politique, de la défense etc. Elle n’est donc pas un domaine de spécialisation autonome, sauf pour ceux qui, faute de compétence précise, décident d’en faire, pour des raisons dont ils ont seuls le secret. Pougala est sans doute l’un d’eux. Il n’est pas surprenant de voir ce Don Quichotte qui n’a apparemment rien d’autre à faire que d’enfoncer les portes ouvertes en jouant au Prométhée de la mondialisation, se proclamer fondateur d’une "géostratégie africaine". Et, comme si cette caricature ne suffisait pas, il prescrit l’enseignement de sa science mystique dans toutes les écoles en Afrique, y compris au primaire.
Faire croire que l´Afrique ne connaît pas depuis bien des milliers d´années l´analyse politique, geo-politique, économique, geo-économique (baptisée stratégie, geo-stratégie) est non seulement une escroquerie historique, mais une insulte à notre humanité. Pire encore, dire que la géostratégie peut se passer d’une connaissance de l’Histoire, c’est porter la stupidité à son comble, cette fois ce marchand d’illusions veut, si l’on nous permet l’expression, se payer littéralement notre tête! Toute analyse géostratégique sérieuse se fonde sur une connaissance profonde de l’Histoire. C’est pourquoi nombre de travaux de Cheikh Anta Diop s’inscrivent dans cette perspective organisationnelle. On peut citer dans cette veine deux ouvrages clés : Les fondements économiques et culturels d'un Etat fédéral d'Afrique Noire, (2000) et Alerte sous les tropiques : Articles 1946-1960 , Culture et développement en Afrique noire. (1990)
On devine que Pougala, dont on connaît bien le rapport aux livres, est bien loin d’avoir lu ces ouvrages. Ceci ne nous surprend pas de la part de cet homme qui ne maîtrise pas son propre paradigme, mais qui prétend lire les conflits mondiaux, alors qu’il ne fait que rabâcher les infos distillées par les médias occidentaux. Pougala dans ses élucubrations géostratégiques est rattrapé par ses lacunes historiques. A moins que ce ne soit par opportunisme qu’il le fait, car il sait que le jour où l’Afrique retrouvera son initiative historique pour traiter d’égal à égal avec tout le monde, ce sera fini de sa géostratégie et de ses affaires sonnantes et trébuchantes avec la Chine, où il dit avoir des entreprises. Mais en attendant ce jour, notre conseil pour lui, c’est de cesser de considérer notre refondation historique comme étant le résultat d’une « erreur de nos prédécesseurs », de combler ses insuffisances et de se mettre au pas en ce qui concerne les véritables enjeux de la reconquête historique.
Certes Pougala n’est pas obligé d’épouser nos convictions ; il a le droit d’être contre l’appropriation de l’Egypte Antique. Si le combat panafricain est un impératif moral pour tout Africain censé, encore faut-il définir le sens dans lequel nous entendons l'orienter, car qui se réclame du panafricanisme aujourd’hui, doit en connaître les implications réelles. Etre panafricaniste c’est d’abord avoir foi en l’historicité de l’Afrique qui plonge ses racines dans le modèle fédérateur de l’Egypte Antique (Kemet), croire et agir pour la renaissance d’une société moderne inspirée de cette matrice fondatrice dont le but est de féconder, tel le limon du Nil, toutes les autres expériences historiques et valeurs culturelles passées, présentes et futures de notre peuple.
Laissons pour finir le Prof. John Henrik Clarke nous rappeler le sens et le rôle de l´histoire:
« History is a clock that people use to tell their political and cultural time of day. It is also a compass that people use to find themselves on the map of human geography. History tells a people where they have been and what they have been, where they are and what they are. Most important, history tells a people where they still must go, what they still must be. The relationship of history to the people is the same as the relationship of a mother to her child. » (Clarke, 1996)
Nos remerciements à Pofrima Selo
Berlin 03 Mai 2012
- L´Article de Pougala :
NEGRITUDE, EGYPTE : LES ERREURS DE NOS PREDECESSEURS
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1 Kommentare:
Je déplore les arguments ad hominem, même contre les nôtres, qui trahissent nos idéaux et notre mission. Errare humanum est. Il y a quelque temps, j'avais discuté avec un frère antillais, qui avait failli piquer une crise d'apopléxie, lorsque je lui avais dit, que Alexandre Dumas Fils,l'auteur des "Trois mousquetairs" était Black et, que Le Chevalier de Saint Georges, le plus grand compositeur de tout temps était Black. Et pourtant, il était un universitaire! Pour ce qui est de A. Dumas, il était convaincu, qu'il était "Blanc", argument à l'appui: il avait visionné le film sur A. Dumas avec Depardieu. Un fait est certain, un postulat même: nous ne perdrons jamais la bataille de la connaissance. Nous sommes, ce que nous sommes. Nous avons souvent des avis différents sur notre passé, notre présent et notre futur. Si Pougala n'avait pas écrit et publié cet artile, nous ne serions pas éclairés sur le sujet. Coup de chapeau! Ces gens-là, qui nient notre Histoire, qui font tout pour la falsifier et la réécrire selon leurs propres normes, ces gens qui ont pignon sur rue vont jusqu'à nier la déportation des Noirs dans les camps nazis, alors que milliers de témoignages et des Survivants vivent encore, se frottent les mains, lorsque nous nous dévorons entre-nous! Merci pour votre contribution à l'amérioration de notre culture générale. Franck Talk II
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